mardi 25 janvier 2005

Cherchant la lumière

Tout au bout de la nuit, il me faut chercher la lumière. Parce que c'est ainsi que les hommes vivent : en consommant la misère du monde, en exposant leurs plaies pour pouvoir exister dans le regard d'autrui, en comparant leurs blessures pour espérer regarder le soleil et les étoiles, pour se sentir vivre.

C'est dans ces heures silencieuses, où rien n'existe qui ne soit enclos dans nos crânes, que peut poindre la lumière. C'est par les larmes que j'existe, c'est leur sel qui donne du relief à mon existence. C'est la souffrance qui ouvre les portes du ciel, disait, à peu de choses près, Martin Luther. C'est par la souffrance d'être que l'on apprend à devenir meilleur, disait, à peu de choses près, Gautama. C'est notre kharma, disaient ses disciples. C'est mon métier, disait Margaret.

Qui suis-je, stringer, pour ainsi offrir à mes lecteurs leur dose régulière de douleur, de larmes et de tristesse ? Où va notre monde, si c'est ainsi que je puis m'insérer parmi mes semblables ? Car ainsi je participe de cet élan vers le pathos, vers la lutte entre Eros et Thanatos, entre la pulsion de vivre et la pulsion de mourir ; c'est cela qui fait je prends ma place parmi vous.

Il est légitime de crier lorsque l'on souffre, mais cette légitimité nous donne-t-elle le droit d'écouter les cris ? Je ne le sais pas. Il n'est pas de degrés, il me semble, dans la souffrance. Alors, s'approprier les douleurs de l'autre pour, à l'aune de nos vies encagés dans les contraintes sociales, les comparer aux nôtres pour en atténuer la portée, cela constitue-t-il un devoir de mémoire ou un devoir de légitimation ? On ne peut que se sentir coupable d'avoir souffert, et de contempler la souffrance d'autrui atténue cette culpabilité. Car il n'est point de peine pour notre rédemption, pour le deuil de nos aspirations.

Au coin de la longère où j'habite, il est un vieux chêne, âgé probablement d'au moins deux cents ans. Sous certains éclairages, parmi les reliefs de son écorce se dessine un visage, comme celui d'un ent. Il était pleine lune, cette nuit, quand je suis sorti, et ses yeux m'ont suivi du regard. Je lui ai demandé où était la voie, mais il n'a pas répondu. Les affaires des hommes ne sont pas pour les gardiens de la forêt, les hommes vont et viennent trop vite, ils ne sont que des épiphénomènes naturels. Et leurs questions, leurs interrogations... La pluie qui manque à la terre, en ce moment, est bien plus vitale.

Chercher la lumière, tout au fond du lit de la rivière, sous les pierres et dans la vase ; chercher encore et toujours, les étincelles qui font de nous des êtres vivants et sapiens ; l'indécence, la grossièreté de cette démarche est ce qui nous construit, ce qui nous permet d'évoluer parmi nos semblables. En découvrant, parmi les ordures et la crasse, l'éclosion d'une rose, je me sens vivre, je me sens pleurer des larmes de joie, je me dis que...

Car tel est le poisson-chat, fouissant le fond de l'eau pour y trouver sa substance.

Mes rêves sont douloureux, mais tellement beaux. Je ne suis pas fait pour être un animal grégaire. J'aime les promenades silencieuses en forêt, où seuls les chants d'oiseaux, le murmure de l'eau et le souffle du vent dans les feuilles sont mes interlocuteurs. J'aime les silences où j'ai ma place, la seule qui vaille, la seule qui m'apporte la sérénité, où l'on m'accepte tel que je suis, non tel qu'on me voit ou tel qu'on me présente. C'est là qu'est ma lumière, mon paradis intérieur.

Luminalba, Luminalba, licorne blanche à la crinière noire, qui hante mes songes, qu'as-tu fais de moi, sinon une âme qui erre, seule dans la foule ? Le temps de l'éveil est de fer, le temps de l'éveil est de sel, et comme un enfant solitaire, je ferme les yeux et cherche, sur l'écran de mes papupières, le lait et le miel...

C'est triste, de vieillir, de comprendre qu'il n'est de lumière qu'au fond de la nuit, qu'au bout de nos détresses, quand l'insomnie nous tourne et nous retourne entre des draps froids. Et je sais ta lumière chaude, douce licorne, je sais la douceur de ton flanc et l'odeur suave de ta peau. Mais tu es d'un autre temps, d'un autre espace, et il n'y a que virtuellement que je peux te rejoindre.

Attendez encore, prenez patience, licornes venues boire au miroir des fées. L'enfant n'est pas encore né, il a pris forme, il bouge en moi, mais il n'a pas encore poussé son premier cri. Construisez patiemment, de crin et de chaleur, son berceau. Prenez votre temps car il n'est pas encore temps, dans l'espace de ce rêve, d'ouvrir le monde à une nouvelle douleur, à un nouveau cri qui apaisera les âmes en leur faisant partager la souffrance.

Je suis désolé, Lucie, une fois de plus... Mais, comme l'enfant que je porte en moi, je cherche encore la lumière, et aujourd'hui la nuit n'est pas encore morte malgré le soleil qui illumine Brocéliande.

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