jeudi 20 janvier 2005

Rouge est le sel

Cette nuit, dans l'eau, une goutte : rouge, fer et sel.

Autrefois, ici, on extrayait le fer pour en faire des clous. La terre saigne encore, dans le ruisseau qui coule au fond du Val sans Retour, tu l'as vue, l'eau qui coule, veinée, chantante au-dessous des ruines du pont. Je sais que tu n'as pas oublié, parce qu'il me reste l'image où, silencieuse, tu contemples l'arbre.

Il est des souvenirs que l'on n'oublie pas, qui demeurent en nous, gouttes de métal liquide qui coulent en nos artères et font de nous des robots dont la tâche, unique, est de survivre ; moins que l'humanité que rêvions, mais tellement plus que celle que nous voyons. Et cela est beau, car cela est vrai, au-delà des métaphores, au-delà des images, des licences et des ellipses. Car la beauté d'être se suffit à elle-même. Souffrir, peut-être est-ce prouver que nous sommes vivants, beaux de l'être encore malgré la douleur qui nous réduit au silence (très masculin, ce truc, par ailleurs, désolé).

Il est un troupeau de licornes en Brocéliande, et Limunalba n'est que l'une d'entre elles. Parfois, à la faveur d'une pleine lune, d'autres cornes se reflètent dans l'onde du miroir aux fées. Et, sur les arbres alentours, certaines marques l'indiquent fugitivement, cicatrices ligneuses où sont pris, parfois jusqu'au petit matin, des crins, blonds, noirs, bruns ou roux. Mais quand pointe l'aurore, quand s'anime le lieu, ces fragiles témoignages s'effacent. Qui sommes-nous, mâles humains encagés dans nos hormones, pour oser penser pouvoir, un jour, approcher les licornes ?

Le chat huant m'a accompagné tout à l'heure, alors que, sous le dais des nuages d'hiver, j'ai commis quelques pas sur l'herbe. Je lui ai parlé, il m'a répondu. Dormez braves gens, tout est calme, rien ne bouge, tout dort, dormez braves gens.

Rouge est le sel du monde ; rouge, chaud et salé. Tu as vu l'arbre, licorne venue boire l'eau à ma rivière, tu as vu comme il ouvrait les bras pour t'accueillir, après avoir accueilli Jora fuyant la Moldavie. Et tu sais, si tu y laisses un peu de crin, ce n'est pas grave, au matin, tout aura disparu dans le foisonnement des houx alentours. Aussi viens, approche-toi, il est encore plus beau en hiver, le hêtre sans feuilles, nu devant toi, uniquement vêtu de sa mousse duveteuse. Nul n'en saura rien, il est situé dans l'espace et le temps du rêve, au-delà de la virtualité ou de la réalité, et tu en connais la route, juste là, derrière ton front.

Mais les poissons ne parlent pas, et sous les feuilles mortes trempées de pluie, les anacondas n'ont pas leur place. Les ailes s'ouvrent la nuit, pourtant, et il n'est plus de silences en nos crânes quand souffle le vent nocturne.

Aujourd'hui fut une journée pleine de fracas, de cris, de bris de verre et de fureur. Mais tout est calme, à présent. Seule, sur le sol, tranchant sur le blanc du carrelage, une trace rouge : le sel de nos larmes. Le Chuch dort dans mes bras en ronronnant doucement. L'heure n'est pas venue d'écrire Luminalba (désolé, Lucie, désolé, Gya) ; d'autres licornes sont venues boire à ma rivière. Mais, demain, peut-être...

Oh, oui, demain, matin, très tôt, quand tout dort encore, même le soleil, quand le silence nous enveloppe comme une douce couverture, comme un songe confortable... Demain...

A demain, licorne, à demain, Luminalba, à demain, le monde. Il me faut encore rêver de vous avant de vous voir. Une nuit, encore, s'il vous plaît. Juste une nuit, tant il est beau ce rêve que je caresse, tant il me faut souffrir avant de l'exposer en place publique, avant de le perdre à jamais. Combien de mes rêves ainsi s'en furent, pourtant, morts désséchés parce que, les chérissant trop, je n'ai pas su les mettre au monde, les expulser de mon ventre. Je ne peux te perdre, mon doux rêve de licorne et de chevalier, pas maintenant, pas si tôt, et il me faut néanmoins dormir, rêver, peut-être. Excusez ma nuit, excusez mes rêves. Excusez-moi, mes rêves, si je vais vous abandonner à d'autres yeux, à d'autres âmes... C'est mon kharma, m'avait dit Margaret.

May your night be full of magnificent dreams, Gya, Irina, Christina, Laura, Diana, Julia. May all your nights be full of dreams, unicorns that sometimes drink water at this river full of red salt, iron and tears mixed together.

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