tag:blogger.com,1999:blog-101681652024-03-13T22:32:17.860+01:00Muddy catfishJe ne crois plus en l'édition. Les contraintes sont devenues économiques, et je n'ai pas envie, compte tenu du revenu potentiel, de formattage aux goûts du public. Donc, ici, une nouvelle par mois. Gratuite. Copiable sans droits ni obligation autre que d'en respecter l'intégralité et la mention de l'auteur. Si vous voulez la publier, tenez-moi juste au courant de où et quand. Mais je n'accorde aucune exclusivité de publication.Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.comBlogger35125tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-81653782566068772872014-05-17T11:14:00.002+02:002014-05-17T11:14:36.276+02:00La matière des rêvesJ'ai fait un drôle de rêve, cette nuit, Luminalba.<br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEirToHW4VQ0risNFQbu3BJnRw_Ii8KG2Vyo9X9BWpc4w00oUyHk6Ft-C85GlTNrZI6e2SKTk5uJP8fC7o8t7nu5iT8XDnPp1uDEGhi-BD4Kl479TJgEr666cNw8LFf_u0Jx8_cGoA/s1600/PdE+(jeune).JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEirToHW4VQ0risNFQbu3BJnRw_Ii8KG2Vyo9X9BWpc4w00oUyHk6Ft-C85GlTNrZI6e2SKTk5uJP8fC7o8t7nu5iT8XDnPp1uDEGhi-BD4Kl479TJgEr666cNw8LFf_u0Jx8_cGoA/s1600/PdE+(jeune).JPG" height="219" width="320" /></a></div>
<br />
Sur les photos comme dans mes souvenirs, quand j'étais un gamin, j'étais chétif, tout petit, malingre et un peu maladroit. L'Alsace, ce n'est pas le meilleur endroit pour grandir et se construire, quand on n'est pas alsacien. Mes parents étaient des notables, dans ce petit village du nord de la région, coincé entre la Vosges et l'Allemagne proche. Je ne parlais pas le dialecte local. C'était dans les années 60, à partir de 1965, je crois.<br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiBil6Xg-JYoiZS4eVEApWCg3aEmVP2PrbrecAohLzr5w9gtv7zkyoCo84Pxqgj0PqGXU4NzQ2BGue699NohRWgsbTyCnxGMSgxJdRJgETPuIOQmqTvEFksVxtscmt-2K3pMtAF3w/s1600/1967+ou+1968.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiBil6Xg-JYoiZS4eVEApWCg3aEmVP2PrbrecAohLzr5w9gtv7zkyoCo84Pxqgj0PqGXU4NzQ2BGue699NohRWgsbTyCnxGMSgxJdRJgETPuIOQmqTvEFksVxtscmt-2K3pMtAF3w/s1600/1967+ou+1968.jpg" height="232" width="320" /></a></div>
<br />
<br />
Les gamins sont durs entre eux. Ils reflètent probablement les opinions et les idées de leurs parents, mais cela, quand on a 5 ans, on n'en a pas conscience, tout est pris au premier degré.<br />
<br />
J'ai été un gamin cogné. Avec la laisse des chiens, une de ces laisses colorées en garcette que mon père confectionnait souvent. C'est joli, la garcette colorée. Mais ça fait mal quand ça cingle les cuisses et les mollets jusqu'au sang.<br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgTEcbrLy1kUi4J_z7iDXNhGykGn3H_3N1rPUqHQvE7hnGLLbd3Z51Np2ajUCLqsu6EEQEUiRi-Nz_YW4X4j3F6MOzh5il-SfAEZJaIdxIgnLbiqV1dFf4KL1jq8LywelVlwdB0UQ/s1600/img_1138.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgTEcbrLy1kUi4J_z7iDXNhGykGn3H_3N1rPUqHQvE7hnGLLbd3Z51Np2ajUCLqsu6EEQEUiRi-Nz_YW4X4j3F6MOzh5il-SfAEZJaIdxIgnLbiqV1dFf4KL1jq8LywelVlwdB0UQ/s1600/img_1138.jpg" height="320" width="320" /></a></div>
<br />
<br />
J'étais la tête de turc des autres enfants, cela va de soi. Trop petit pour me défendre, ayant vécu les premières années de sa vie avec ma mère, mon père absent pour cause de guerre en Algérie, deuxième après ma soeur, né à Villeneuve Saint Georges, toutes les conditions étaient réunies pour que ma vie d'alors soit un enfer. Et cela a été le cas. Forcément.<br />
<br />
Mais dans tout enfer, afin de le rendre plus cruel encore, il y a comme des moments de grâce. De ces moments où vous croyez pouvoir être heureux, où vous sentez que la vie peut être splendide, juste histoire de retomber plus bas l'instant d'après.<br />
Parfois dans ces moments de grâce, il y avait trois filles : Michelle, Carole et Claude. Michelle, blonde, forte et belle comme une walkyrie, Carole, étroite, dure et splendide comme un couteau japonais, et Claude, toute petite comme moi, brune et avec un sourire à faire fondre tous les glaciers du monde. Ces trois-là étaient inséparables comme le Surmoi, le Moi et l'inconscient. Bien évidemment, j'étais amoureux des trois ensemble, comme peut l'être un gamin avec du sel sur les joues et des rêves d'étoiles planqués derrière les paupières.<br />
Souvent, quand les brutes habituelles me poussaient, me bousculaient et se moquaient de moi, ces trois-là s'avançaient et prenaient ma défense. Je n'en devenais dès lors que plus amoureux.<br />
<br />
C'est si loin, tout ça, que je soupçonne la poussière du temps d'en masquer les contours quelque peu.<br />
<br />
Cette nuit, j'ai rêvé. J'étais à la demeure familiale, un genre de manoir gigantesque de deux étages perché sur la colline surplombant le village. Mon père, qui y vivait seul depuis l'internement de ma mère, l'a vendue le mois dernier.<br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEifBdkSiuvw1tbmxklOYXc5Nf4S4PVNpMrTcbr9DN3JAa5LRJ_dEBFx0lPtx0BgK6wxiREPYa2Eu1leXewRrXl4HavGE5Adyps3wleaXGxSjcGbAvtgnxfU-KnPvj7Yst2a8l4pbA/s1600/95618687_o.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEifBdkSiuvw1tbmxklOYXc5Nf4S4PVNpMrTcbr9DN3JAa5LRJ_dEBFx0lPtx0BgK6wxiREPYa2Eu1leXewRrXl4HavGE5Adyps3wleaXGxSjcGbAvtgnxfU-KnPvj7Yst2a8l4pbA/s1600/95618687_o.jpg" height="213" width="320" /></a></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhfJ2j2na4jwvyBn622RFKNP0WoZpsxjNe_XLBIIEXrfL4Im5RHu2Ca_LpsZ73nTnnVTLE8FXZy3i3fmLIB2z63947XGBknmb49U7YQgz6p2GFeTAvSm2Qy_56uKT3kz9iZhsPKaw/s1600/95618693_o.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhfJ2j2na4jwvyBn622RFKNP0WoZpsxjNe_XLBIIEXrfL4Im5RHu2Ca_LpsZ73nTnnVTLE8FXZy3i3fmLIB2z63947XGBknmb49U7YQgz6p2GFeTAvSm2Qy_56uKT3kz9iZhsPKaw/s1600/95618693_o.jpg" height="240" width="320" /></a></div>
<br />
<br />
Dans le rêve, mes parents étaient sortis et nous étions livrés à nous-même, nous, les 4 enfants des notables locaux.<br />
<br />
Il y a eu une insurrection dans le village ; tous mes tortionnaires d'antan sont revenus, et ils avaient mon âge actuel. Leurs faces s'étaient creusées, leurs regards durcis, mais leur odeur n'avait pas changé, faite de senteurs de violence et de brutalité au relents âcres de vieille sueur. Tout entiers habités du désir de prendre leur revanche en décapitant les nobles et abolissant les privilèges, ils ont investi la maison.<br />
Aussitôt ma plus jeune soeur a rejoint leurs rangs, arrachant la tapisserie des murs, mettant à nu le sol, pour montrer à tous les vrai visage de cette maison qu'elle a toujours honnie. Ma grande soeur, écumante de rage, était enfermée à l'étage dans une camisole de force. Ma deuxième soeur, quant à elle, composait avec l'ennemi et essayait de s'attirer leurs bonnes grâces. Mon petit frère était absent, parti avec mes parents.<br />
<br />
Même si désormais je ne suis plus ni chétif, ni malingre, alors que la demeure était mise à sac et dévastée par la horde des villageois déchaînés, j'ai revécu mon enfance dans les brimades que je subissais : bousculades, poussées, moqueries, coups.<br />
<br />
Mon père est revenu, tenant mon petit frère dans ses bras, et a tenté de raisonner la horde, mais cette dernière, menée par la jeune soeur, l'a ignoré et a continué à vandaliser les lieux. <br />
<br />
Et c'est alors qu'elles sont arrivées, comme un aigle noir. Carole conduisait une gigantesque limousine ; Michelle et Claude m'ont fait monter à l'arrière. Puis la voiture s'est éloignée, prenant de la vitesse, jusqu'à finalement s'envoler en direction de la Mongolie où elle s'est posée dans la steppe déserte.<br />
<br />
https://www.youtube.com/watch?v=gikc3N0DlMw&index=1&list=RDgikc3N0DlMw<br />
<br />
Il est dit que dans les rêves on ne voit jamais que soi-même : choses, personnes, tout est moi dans ce rêve. Les gens que je décris ici ne sont pas tels que je les décris, et leurs actes diffèrent.<br />
<br />
Il ne faut jamais juger les personnes, uniquement les actes. Mais même alors, il faut tenir compte de ce qui a motivé ces actes. Mon père, que j'aime profondément, m'a appris énormément dans tant de domaines que je ne saurai tous les nommer. Il fumait la pipe et s'est arrêté du jour au lendemain quand il m'a surpris avec une cigarette quand j'avais douze ans. Lui-même a appris de ses parents et s'est construit tant bien que mal, en essayant autant que possible de tout donner à ses enfants et à sa femme ; il a élevé la notion du sacrifice personnel aussi haut qu'il lui était loisible de le faire, et m'a certainement transmis une partie de cette valeur. Je me suis construit avec ceci, alors le renier, c'est partiellement renier ce que je suis, et cela m'empêcherait d'être complet; de m'accepter tel que je suis, et de goûter au bonheur.<br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhO9uvmeZlmUe464lFBn1PG9tmgy71Q7q5mbO67K06V3E6Nls8rzeFTJFGyDNouqOHOHAUylyMF3dBDC9UdvJ7afLJLka0sMsv_US7lYNJWsAT7i7xpRwY48TlXtmYMvDfOGIjjug/s1600/311007_10150388343609173_1704465065_n.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhO9uvmeZlmUe464lFBn1PG9tmgy71Q7q5mbO67K06V3E6Nls8rzeFTJFGyDNouqOHOHAUylyMF3dBDC9UdvJ7afLJLka0sMsv_US7lYNJWsAT7i7xpRwY48TlXtmYMvDfOGIjjug/s1600/311007_10150388343609173_1704465065_n.jpg" height="236" width="320" /></a></div>
<br />
<br />
Je n'aime pas la société des hommes, telle qu'elle est actuellement. Je préfère, et de loin, celle des abeilles.<br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgaT5WVp30hF6XsZlR0QLWpHMyApG-miSB3bfbhGssf3X3D17igq-OAgCiCrtEs4Sd2Z6QZWbHl9n32Y6IkqPtNurbvrZTqA38ASRa9x0xM9LR8RYW3O0lXKHBhGR-YKG82Amw1OQ/s1600/20140509_164918.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgaT5WVp30hF6XsZlR0QLWpHMyApG-miSB3bfbhGssf3X3D17igq-OAgCiCrtEs4Sd2Z6QZWbHl9n32Y6IkqPtNurbvrZTqA38ASRa9x0xM9LR8RYW3O0lXKHBhGR-YKG82Amw1OQ/s1600/20140509_164918.jpg" height="192" width="320" /></a></div>
<br />
<br />
Je ne suis pas un bout-en-train, je ne suis pas quelqu'un de spécialement drôle, je souris plus souvent que je ne ris et je réfléchis trop, bien souvent. Je ne suis pas un exemple à suivre, pas plus qu'un martyr à consoler et réconforter. J'écris , voilà tout. J'ai commencé à le faire pour de mauvaises raisons, parce que, quand j'étais gamin, le français était la matière scolaire dans laquelle il était le plus facile de briller et de montrer aux autres enfants, qui s'en moquaient royalement, que je pouvais être aussi bon qu'eux, voire meilleur.<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
</div>
<br />
Désormais, j'aime bien écrire de temps en temps. Avec les années, j'ai compris que l'on ne se construit pas uniquement en puisant dans la matière de nos rêves. J'écris moins, je vis plus. Je ne suis pas fait de la matière des rêves, mais d'une matière similaire. Ne rêvez pas de moi, soyez vous et rêvez-vous sans cesse.<br />
<br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi1pLqBBZtLMnYB3DS4_a1oP8mvsAbtJDUTuprgvqgIlXSbTJKM2KeKT2kwomdeRC2wsPcu0KqoUPCvlFSaosItD5AhXPuJ6FeAsN71AF2kIaqof0WR1BJ4blxywRm4IZQsKcnI0g/s1600/015.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi1pLqBBZtLMnYB3DS4_a1oP8mvsAbtJDUTuprgvqgIlXSbTJKM2KeKT2kwomdeRC2wsPcu0KqoUPCvlFSaosItD5AhXPuJ6FeAsN71AF2kIaqof0WR1BJ4blxywRm4IZQsKcnI0g/s1600/015.jpg" height="192" width="320" /></a></div>
<br />
Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-91508846857681133872014-05-09T09:15:00.004+02:002014-05-09T09:18:21.071+02:00Le fer et le sang, les œufs et l'omelette, le thé et la révolution<div align="CENTER" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Nous y voilà »,
dit le vieil homme en versant le thé dans la tasse. « Tu en
as assez, n'est-ce pas, de cette situation ? Tu trouves que
l'on se joue de toi, que l'on te manipule et t'exploite en te
faisant vivre selon un modèle pré-établi. Cela, je peux le
comprendre. Le monde dans lequel tu es incarné ne correspond pas à
ce que tu en attends, cela te rend malheureux.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Non pas malheureux,
mais indigné, vieil homme. »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Depuis l'appartement sous la mansarde
de Louis Pernaud, on pouvait entendre, se propageant par vagues, la
musique entêtante et monotone de Skyrock. Pour la troisième fois en
une heure, la même musique passait, un truc où une gamine chantait
une rengaine agaçante comme une vieille rage de dents. Kevin Chéron,
venu ici sous les conseils du comité de communication, n'aimait pas
ces tubes, et le fond sonore ainsi procuré à la conversation avait
le don de distraire ses pensées. Au prix d'un effort de
concentration, il se reprit et écouta le vieux.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Indigné et en
colère, je le vois dans tes yeux. Ta colère, je peux la comprendre
aussi. Tu es frustré, tu contemples le monde qui t'entoure, et tu
aimerais que les choses soient plus belles à tes yeux, que les gens
soient plus heureux.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Oui, et alors ?
Est-ce mal ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
C'est à toi de
répondre à cette question, pas à moi. La seule chose qui
m'inquiète un peu c'est que pour exprimer cette frustration, tu te
mets en colère. Tu penses que, ce faisant, tu as raison ; tu
t'indignes à bon droit, tu refuses la situation qui t'es imposée,
tu t'énerves et tu cries. Et cela te fait du bien. C'est vrai,
après tout, c'est très naturel ; n'est-ce pas grisant, de
laisser libre cours à sa rage, de s'énerver, de lutter, de crier,
de pester, de tempêter, de combattre en somme, lorsque l'on est
dans son bon droit ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Cela me soulage,
quoique tu en dises. Et par les temps qui court, nous avons besoin
de colère, il faut que les choses changent.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Ainsi dis-tu, jeune
homme, ainsi dis-tu parce que tu vois les choses ainsi. »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
La gamine sur Skyrock, après quelques
jingles assourdissants, avait laissé la place à un groupe de
pseudo-rap. Kevin soupira de lassitude, sentant la colère monter en
lui mais ne voulant pas, ici et maintenant, par respect pour le
vieux, la laisser le submerger. Aussi, s'efforçant au calme et
tentant de faire abstraction de la mélodie qui tournait en boucle,
reprit-il :</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Tu brasses du vent,
Louis. Mais dis-moi donc, qui serais-je, si je fermais les yeux sur
la misère, sur les injustices de ce monde où les politiciens dans
leur ensemble bafouent la parole donnée, où seule compte la
perspective de la réélection ou du pouvoir qu'ils ne veulent pas
laisser fuir loin d'eux. Pourquoi ces hommes, censés nous
représenter, ont-ils oublié leur tâche première, la raison qui a
fait que nous, les citoyens, leur avons donné le pouvoir de rédiger
des lois et de nous y soumettre ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
A cette question, il
ne m'appartient pas de répondre, mon jeune ami. Ne crois pas les
choses simples, elles sont bien complexes, comme à chaque fois
qu'il est question de la nature humaine.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Elles sont simples,
pourtant, puisqu'il suffit de trois mots pour les définir :
liberté, égalité et fraternité. Juste trois petits mots très
simples et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Le jeune homme était heureux, soudain,
d'avoir pu placer ces trois mots, héritage de la révolution
française, une révolution qu'il comptait bien réitérer dans un
temps proche. Et miraculeusement, il y eut un silence bienvenu dans
la musique. Mais ce silence fut hélas de courte durée.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Je pense, Kevin, que
ce ne sont pas les mots qui changent le monde, mais les les actes.
Les mots sont juste des idées exprimées, et bien souvent, les
idées sont biaisées par une représentation faussée de la
réalité.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Un peu facile, il
existe quand même des vérités universelles !</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Je ne le sais pas,
mon jeune ami. Mais j'ai tendance à croire que non. Tu as
certainement connaissance du tableau de Magritte, qui représente
une pipe et qui est intitulé « Ceci n'est pas une pipe ».
Toute représentation est un mensonge. Nous ne voyons pas le monde,
parce que nous ne sommes pas le monde. Nous en avons connaissance
par nos cinq sens, mais pour autant ces sens sont faillibles, et ce
à plus d'un titre ; ainsi le prouve à l'envi la science, qui
nous fait voir des objets en trois dimensions sur un support à deux
dimensions. »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
L'espace d'un instant, Kevin se demanda
ce qu'il faisait là. La révolution qu'il voulait mener devait-elle
se nourrir de philosophie quand les motifs de la faire étaient si
évidents ?</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Tu chipotes, tu
joues sur les mots, vieil homme.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
C'est ton cerveau
qui chipote, qui joue sur la réalité, mon jeune ami. Ce n'est pas
moi. C'est dans la nature de l'homme de ne voir que ce que son
cerveau interprète. Pour autant, notre cerveau nous permet aussi de
réfléchir et de comprendre, n'est-ce pas ? « Sache que
forme n'est que vide, et que le vide n'est que forme. Forme n'est
que vide, et vide n'est autre que forme. Sentiment, pensée, choix
et la conscience elle-même sont vides<a class="sdfootnoteanc" href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=10168165#sdfootnote1sym" name="sdfootnote1anc"><sup>1</sup></a> »
nous dit l'un des sûtras les plus importants du bouddhisme.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Je ne comprends rien
de rien à ce que tu radotes, et je ne vois pas où tu veux en
venir, vieil homme... »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Et voilà. Après la philosophie, la
religion, à présent. Kevin sentit ses joues s'empourprer, signe
d'une colère de plus en plus envahissante. Louis dut le sentir,
car :</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Encore un peu de
thé ? »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Le vieil homme souriait, et les vapeurs
montantes du Lapsang Souchong brouillèrent un instant son visage.
L'espace d'un instant, sa figure sembla émerger du brouillard, comme
un écho des paroles qu'il venait de prononcer.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Kevin et Louis sirotèrent le contenu
de leurs tasses à petites gorgées.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Le thé était amer et fort, et ses
senteurs au goût de feu de bois avaient quelque chose de
réconfortant, créant dans la bouche des deux hommes un espace de
douceur et de confort dans la froidure de l'hiver. Dehors, la neige
avait commencé à tomber, et les bruits de la rue étaient assourdis
par la chape blanche qui, lentement, se déposait à la surface du
monde, la rendant immaculée et pure.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Plus bas, entre deux jingles grossiers
et bruyants, la chanson avait changé. Lady Gaga, reconnut Kevin, qui
n'aimait décidément pas cet artiste, mais n'avait guère le loisir
d'y échapper, tant le titre était matraqué sur toutes les ondes.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Tu ne nieras pas
l'importance de la liberté pour les hommes, n'est-ce pas, Louis ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
C'est quoi, la
liberté ? Si tu parles de liberté, tu sous-entends que
quelque chose t'emprisonne, ou que des servitudes te contraignent.
Pour certains hindous, être libre, c'est « se débarrasser de
toute matière, aussi bien subtile que grossière<a class="sdfootnoteanc" href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=10168165#sdfootnote2sym" name="sdfootnote2anc"><sup>2</sup></a> ».
Nous sommes conditionnés par notre nature humaine à être
dépendants de bien des choses : nous nourrir, respirer, vivre
en société. Et pour cela, nous nous conditionnons à bien d'autres
choses encore : gagner de l'argent pour nous acheter à manger
et payer le toit sous lequel nous dormons, travailler pour gagner de
l'argent. Aristote lui-même le disait, le travail est un
esclavage ; de nos jours, je pense que c'est même le premier
de tous les esclavages. »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Soit. Puisque le vieux ne démordait
pas de sa volonté de philosopher, Kevin se résolut à suivre cette
voie. L'idéal aurait été que la radio, dans l'appartement
d'en-dessous, se taise, mais pour cela, il aurait fallu un miracle,
ou un acte cathartique de violence explosive, solution qui tentait le
jeune homme de plus en plus.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Mais je ne peux pas
me passer de manger, tout de même, vieil homme ! Et il me faut
bien un toit, pour pouvoir me reposer !</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Pour autant, est-ce
qu'un emploi est nécessaire ? Smohalla, indien Nez-Percé qui
fondit la religion des rêveurs a dit ces paroles magnifiques :
« Mes enfants ne travailleront jamais. Les hommes qui
travaillent ne rêvent pas. Et la sagesse nous vient par les rêves.
Vous me demandez de labourer la terre. Dois-je prendre un couteau et
déchirer le sein de ma mère ? Alors, quand je mourrai, elle
ne voudra pas me prendre dans son sein pour que j'y repose. Vous me
demandez de creuser pour trouver de la pierre. Dois-je creuser sous
sa peau pour m'emparer de ses os ? Alors quand je mourrai, je
ne pourrai plus entrer dans son corps pour renaître. Vous me
demandez de couper de l'herbe, d'en faire du foin, de le vendre pour
être aussi riche que les hommes blancs. Mais comment oserais-je
couper les cheveux de ma mère ?<a class="sdfootnoteanc" href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=10168165#sdfootnote3sym" name="sdfootnote3anc"><sup>3</sup></a> »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Dans le silence de la mansarde, qui
suivit les paroles du vieux, l'air se chargea de nostalgie et de
silence. Puis, en léger acouphène distant, une nouvelle fois
Rhianna émit ses roucoulade poisseuses. Tentant de faire abstraction
de la chanson qui rongeait son sang-froid, Kevin lança, comme un
défi :</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Je vis en ville,
vieil homme, tout comme toi. De quoi puis-je me nourrir si je ne
possède nulle terre pour faire pousser des céréales, des fruits
ou des légumes, nul champ pour y faire paître mes troupeaux, nulle
rivière pour étancher ma soif, nulle grotte pour m'abriter de la
pluie ou de la neige, nulle forêt pour en brûler le bois et me
chauffer ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Alors, mon jeune
ami, il te faut accepter d'être esclave de l'argent pour cela.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Mais l'argent est
une nécessité, tout de même ! Comment, sinon, mesurer les
choses et attribuer à chacun selon son travail ? »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Louis eut un petit sourire amusé.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Laisserais-tu mourir
de faim ceux qui ne travaillent pas, par choix, comme l'ont fait les
enfants du vieux Smohalla , ou par obligation, parce qu'ils ne
trouvent pas à travailler, ou ne sont pas aptes à le faire ?
Admettons que tu répartisses les richesses non selon le travail,
mais selon le mérite, alors. Mais dis-moi, quel serait ton étalon
pour effectuer de telles mesures et rétribuer les hommes de ta
société ? Nos sens sont faillibles, et ce qui ravit l'un peut
très bien agacer l'autre. A quel degré de faim devra se situer un
homme pour avoir le droit de manger dans ta nouvelle société ?
Et que lui feras-tu manger qui serait produit par tous ? De la
viande de porc à un musulman ou un juif, de la viande de bœuf à
un végétarien, des sucreries à un diabétique ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Mais il faudrait
pourtant trouver un étalon, ne serait-ce que pour éviter que
certains s'engraissent sur le dos des autres !</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
En quoi le fait que
l'on s'engraisse te déplaît-il ? Qu'est-ce qui fait que tu
tiennes ainsi à vouloir que tous méritent leur nourriture ?
Quel que soit ton critère pour décider qui mérite de manger et
qui ne le mérite pas, tu seras dans l'erreur. La nourriture fait
partie des besoins vitaux.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Bon, soit, tous
pourront manger. Et satisfaire leurs besoins physiologiques, car je
te vois venir, Louis. Ils auront le droit de boire, dormir et
respirer tout autant. Et même, puisque cela également fait partie
des besoins primaires, de se loger, de se protéger du froid et de
la chaleur ainsi que des agressions. Te voilà satisfait, vieil
homme ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Non, mon jeune ami.
Tu raisonne en hiérarchisant les besoins de l'être humain. Tu
méconnais ce faisant tout un fatras de choses, dont le
libre-arbitre, les notions de plaisir, l'âme, et ainsi de suite. Ni
toi ni moi ne sommes réductibles à nos besoins, nous sommes des
êtres vivants, non des formules mathématiques ou des concepts
d'analyse. »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm; margin-left: 0.64cm; text-indent: -0.64cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
La radio, enfin, s'était
tue. Le silence qui s'ensuivait dans le bruit de fond en était
d'autant plus assourdissant. Kevin soupira :</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Nous voici donc dans
une impasse, si je comprends bien. Je suis venu te voir, car cela
semblait important au groupe dont je fais partie, et qui veut que
les choses changent dans notre société. Mais je crois que je perds
mon temps ici. Dehors, la situation commence à devenir
insoutenable, et en parlant avec toi, je n'ai entrevu aucune
solution autre que la révolution.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Considères-tu donc
notre conversation comme achevée ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Je ne sais pas. Y
a-t-il encore autre chose à dire sur le sujet ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Oh oui, je crois.
Par exemple, nous pourrions essayer ensemble de trouver les raisons
qui motivent ce désir de révolution, de changement radical. De
guerre civile, en somme. Nombreux furent ceux qui pensèrent avoir
trouvé les causes de la guerre. Pour Clausewitz, cela peut être la
résultat d'une volonté de puissance étatique, d'impérialisme,
pourrait-on dire. Veux-tu faire la révolution pour imposer la
puissance de l'état que tu mettras en place ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Bien évidemment que
non ! Je n'ai pas l'âme d'un tyran ! »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
La neige au-dehors ne tombait plus, sa
blancheur étouffait les bruits de la rue, et, tout compte fait,
l'ambiance chaleureuse et confortable de la mansarde se prêtait bien
à la réflexion. Kevin choisit de s'y adonner avec le vieux, après
tout, ces questions étaient plus que légitimes, et à tout prendre,
elles avaient le mérite de poser les questions sur
l'après-révolution, en forçant à s'interroger sur son bien-fondé.
Louis continua sur sa lancée :</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Même si tu ne te
considérerais pas comme un tyran, de facto tu publierais des lois,
qui obligeraient tous les hommes de ta société, et ce même s'ils
ne souscrivent pas à l'idée qui a présidé à leur élaboration.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Mais il faudrait
tout de même un code, quelque chose qui indique précisément ce
qui est permis et ce qui ne l'est pas ! Sans quoi, si tout
était permis, des abus seraient possibles !</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Des abus, il y en
aura toujours, Kevin. Ne commets pas ce péché d'orgueil de vouloir
croire que ta pensée équivaut ou est supérieure à celle de tout
autre être humain. »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Le coup était rude. Kevin l'encaissa,
masquant son trouble en finissant son thé, écoutant toujours
Louis :</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Mais admettons que
tel soit le cas, de la sorte, tu pourras explorer plus loin les
raisons que tu trouves de vouloir mener la guerre. La guerre est un
facteur de cohésion sociale. Bismark a crée ainsi l'état
allemand, selon l'expression consacrée « Par le fer et par le
sang ». D'un regroupement de petites principautés, il a fait
une nation, et c'est grâce à cela que l'Allemagne est née. Sans
le fer et le sang, il n'y aurait jamais eu la nation allemande.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Peut-être ne
peut-on faire d'omelette sans casser d'eux, Louis. »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Si Kevin souriait en disant cela.
Louis, qui l'écoutait, affichait soudain un visage triste et désolé,
empli de compassion.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Kevin, Kevin... Pour
toi, donc, la fin justifie les moyens ? En quoi cela te
distingue des financiers qui ont mené le monde jusqu'au point où
il se trouve désormais ? »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Kevin blêmit. Puis :</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Je ne suis pas comme
eux, Louis ! Comment peux-tu donc me juger ainsi ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Je ne te juge pas,
Kevin. J'essaye de comprendre tes pensées, et les actions qui
pourraient en découler. »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Un long silence s'installa. Puis, à
l'étage du dessous, on entendit à nouveau résonner la radio, NRJ à
présent, mais même si la station avait changé, le message global
restait le même : consommez ce que nous déversons dans vos
oreilles, parce que nous avons décidé que cela vous plaisait, et
que vous n'avez d'autre choix que d'y souscrire. Kevin avait un sale
goût dans la bouche, brutalement, un goût amer de choses
pourrissantes. Alors, criant presque :</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Tu m'embrouilles, le
vieux ! Je suis venu te causer de révolution, pour essayer de
te convaincre de nous rejoindre, parce que les autres membres du
comité pensent que tu pourrais nous aider à faire cette
révolution, et toi, tu me traites de tyran !</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Quelle est la raison
qui te pousse ainsi à t'énerver, Kevin ? T'ais-je témoigné
une quelconque agressivité, t'ais-je blessé, physiquement,
affectivement ou intellectuellement ? Je n'en ai pas
conscience, mais si tel est le cas, excuse-moi, veux-tu ? Je
n'ai pas souhaité ce conflit qui perce en toi, et je veux y mettre
fin. Allons, calme-toi, reprenons une tasse de thé. »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
La saveur du Lapsang Souchong évoquait,
sur la langue de Kevin, des incendies, des choses qui ont brûlé et
se sont éteintes, les souvenirs virtuels d'insurrections en d'autres
temps et d'autres lieux. Lentement il reprit ses esprits et plongea
son regard couleur de noisettes dans les yeux gris entourés de rides
de son interlocuteur.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Je suis désolé,
Louis. Je me suis senti agressé, en effet, même si je n'avais
aucune raison de l'être.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Pourquoi t'es-tu
senti agressé ainsi ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Parce que j'ai eu
l'impression que tu me jugeais pareil à ceux qui ont fait que la
révolution est devenue une nécessité, aujourd'hui.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Ne te préoccupes
pas de ce que je penses, mon jeune ami. Réfléchis simplement et
dis-moi ce qui a fait que, même si je t'avais jugé ainsi, cela
était une agression à tes yeux.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Peut-être
l'orgueil, tu as raison, mon vieil ami.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Si tu allumes le
brasier de l'insurrection, tu seras jugé, que tu le veuilles ou
non, Kevin. Et souvent bien plus durement que tu penses que j'ai pu
le faire. Et comment réagiras-tu alors ? En te mettant en
colère, à nouveau ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Euh... Je le
suppose... »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Moqueuse, la ritournelle de Lady Gaga
s'insinua dans la mansarde depuis le plancher, toute entière de
facilité et de consensus, Kevin eut un mouvement d'épaules
trahissant son agacement, comme s'il avait voulu faire tomber de son
dos le poids lourd de cette culture insipide et uniformisée aux
standards économiques.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Et pour eux, ces
voisins qui écoutent des chansons que tu abhorres pas, que
feras-tu ? Les obligeras-tu à goûter à la douceur d'un
adagio de Bach, à l'éclat d'un concerto de Mozart, à la puissance
d'une symphonie de Beethoven ? Les contraindras-tu à se
nourrir de jazz ou de blues ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Non, bien sûr !
Je ne veux pas d'une société de contraintes ! C'est
simplement que ces gens-là ont manqué d'éducation musicale, qu'il
n'ont en fait aucune culture digne de ce nom.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Orgueil, orgueil,
orgueil ! Comment crois-tu qu'ils entendraient tes paroles ?
Allons, mon jeune ami révolutionnaire, ils ont une culture qui
n'est pas la tienne, mais elle fait partie d'eux, elle les a formés.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Justement,
parlons-en... Elle les a déformés, tout au plus, pour que tous
rentrent dans le moule de la musique calibrée pour une consommation
exponentielle, et tout cela pour que les privilèges de certains
nantis soient renforcés. »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
A mesure qu'il parlait, que la
tessiture de sa voix grimpait dans les aigus, que le ton se
renforçait, les joues de Kevin rougissaient d'émotion contenue.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
A nouveau tu
t'emballes, Kevin. Reprends donc un peu de thé.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Je suis paumé,
Louis. Autant, avant de venir, les choses étaient claires pour moi.
Nous allions faire de ce pays, de ce monde, un endroit meilleur.
Mais toi, avec tes questions et tes remarques, tu m'as largué.
Alors, tu ne nous suivras pas, dans la révolution ? »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Le sourire de Louis était contagieux,
et Kevin ne put faire autrement que d'y faire écho.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Je ne te suivrais
pas dans ta révolution, Kevin, pas plus que je te demanderai de
suivre ma révolution.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Tu es en révolution,
Louis ? Mais comment ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Il n'est qu'une
seule révolution qui vaille, et elle est individuelle. Chaque jour,
chaque heure, chaque minute, chaque seconde, je m'applique à
supprimer mon ego, à laisser passer sans les retenir les émotions
qui me bouleversent. Je soigne ceux que je peux soigner dans la
mesure de mes moyens, je fais tout mon possible pour que les
conflits, inévitables par notre nature humaine, soient résolus au
plus tôt ; et tout cela, je le fais en étant conscient que le
seul levier à ma disposition pour changer le monde c'est ce que je
suis. Je ne suis ni un gourou ni un meneur d'homme, je ne suis qu'un
homme qui essaye autant qu'il le peut de devenir meilleur, empli de
compassion et refusant de prendre en pitié, ouvert sur autrui même
si cela signifie aller au-delà de mes croyances profondes. Et cela,
c'est une vraie révolution humaine.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Je te comprends,
Louis. Mais le monde, mais les injustices, il faudrait que je les
oublie, pour suivre ta voie ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Ne suis pas ma voie,
mon jeune ami, suis la tienne. Écoute ce que dicte ton cœur, ne
laisse pas les émotions prendre le pas sur qui tu es, et fais ce
que tu penses devoir faire, au moment où tu penses devoir le faire.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Mais, et toi,
Louis ? Ne puis-je t'aider ? Tu vis dans une minuscule
mansarde, je gage que tes revenus sont très limités, alors que tu
pourrais vivre bien plus aisément, avec plus de confort à ta
disposition.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Ceci est mon choix,
Kevin. Pourquoi refuses-tu de le voir ainsi ?</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Je ne peux le
croire ! Tu n'as quand même pas choisi d'habiter ici, dans
cette mansarde minuscule, avec des murs si fins que le moindre
soupir de tes voisins résonne comme une intrusion obscène dans ton
espace !</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Si, tel est pourtant
mon choix. »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Soudain, Louis fut pris d'une quinte de
toux qui le secoua tout entier. Au terme de celle-ci, son visage
était pâle, et ses yeux larmoyants. Kevin soudain eut peur pour la
santé fragile du vieil homme.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Il faut te soigner,
Louis. Cet endroit est à la limite de l'insalubrité ! Il te
faut de l'espace, de la chaleur !</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
A quoi pourraient
bien servir de l'espace et de la chaleur à un vieillard qui a déjà
fait bien plus que son temps sur Terre ? D'autres que moi,
jeunes, et qui ont un monde à bâtir, en ont bien plus besoin. Eux
ont une révolution sociale à mener. Va, Kevin, faire la
révolution, puisque ton cœur te dicte que c'est nécessaire. Je te
fais confiance, tu seras un grand dirigeant. »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Louis se leva du pouf et se dirigea
vers la porte d'entrée, qu'il ouvrit. Kevin ne savait que faire. Il
se leva lui aussi et rejoignit le vieil homme.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<ul>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
J'ai peur pour toi,
Louis. J'ai peur.</div>
</li>
<li><div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
C'est bien. La peur,
si elle ne te submerge pas au point d'avoir les pensées claires,
est un bon moteur pour avancer sur son chemin. Mais ne t'en fais
pas. Je partirai le moment venu, quand mon heure sera venue. Adieu,
jeune révolutionnaire. Et si les affaires publiques ne te prennent
pas trop, songe également à effectuer ta révolution personnelle.
A quoi bon changer le monde si toi-même tu ne changes pas ? Refuse
ce qui est simple et consensuel, ou accepte-le en conscience. Saisis
chaque occasion d'apprendre, sur le monde et sur les autres hommes,
car c'est ainsi que tu apprendras sur toi. Sois ouvert et empli de
compassion. N'aime que si tu ne peux faire autrement, mais alors
fais-le totalement, de tout ton être, sans calcul ni volonté de
possession. Et oublie mes paroles, car il est temps pour toi à
présent de suivre ta propre route. »</div>
</li>
</ul>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Le lendemain, les premières barricades
étaient levées, et le monde sur le point de changer, une nouvelle
fois.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Il y eut des blessés, il y eut du fer
et du sang.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Il y eut une nation toute entière unie
contre l'oppresseur.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Il y eut des compromissions et des
réconciliations, certaines très surprenantes.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Il y eut de la jalousie, des actes
copiés, des actes feints, des actes manqués.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Il y eut des promesses, voilées ou
implicites, de nouveaux conflits.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Puis il y eut la paix, finalement. Les
stations de musiques diffusaient désormais du classique, du jazz et
du blues, en sus des scies RnB et des chansons faciles.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Et au bout du compte, il y eut un
leader qui buvait du thé noir fumé, en souvenir d'un des martyrs de
la révolution, celui par qui tout avait débuté ; un vieil
homme qui avait quitté sa minuscule mansarde, était descendu dans
la rue, avait escaladé la toute première barricade, et s'était
avancé tranquillement vers le forces de l'ordre, les avait saluées
poliment, et avait entrepris de les défaire de leurs armes. Une
matraque avait eu raison de son obstination têtue et sans
agressivité, tout comme elle avait eu raison de sa boîte crânienne,
la faisant éclater comme un œuf pour une omelette au goût amer.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<i>
</i>
<br />
<div id="sdfootnote1">
<div lang="fr-FR" style="font-style: normal; font-weight: normal; margin-bottom: 0cm; margin-left: 0.5cm; text-indent: -0.5cm;">
<i><span style="font-family: Times New Roman, serif;"><span style="font-size: x-small;"><a class="sdfootnotesym" href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=10168165#sdfootnote1anc" name="sdfootnote1sym">1</a>« Le
cœur de la parfaite sagesse », ou « Prajnâpâramitâ
Hridaya », cité par Albert Low, « Aux sources du zen »,
les éditions du Relié, Gordes, 2001</span></span></i></div>
</div>
<i>
</i>
<br />
<div id="sdfootnote2">
<div lang="fr-FR" style="font-style: normal; font-weight: normal; margin-bottom: 0cm; margin-left: 0.5cm; text-indent: -0.5cm;">
<i><span style="font-family: Times New Roman, serif;"><span style="font-size: x-small;"><a class="sdfootnotesym" href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=10168165#sdfootnote2anc" name="sdfootnote2sym">2</a>Cité
par Alexandre Desjardins, « Au-delà du moi », Éditions
de la table ronde (disponible sur le web)</span></span></i></div>
</div>
<i>
</i>
<br />
<div id="sdfootnote3">
<i>
</i><br />
<div lang="fr-FR" style="font-style: normal; font-weight: normal; margin-bottom: 0cm; margin-left: 0.5cm; text-indent: -0.5cm;">
<i><span style="font-family: Times New Roman, serif;"><span style="font-size: x-small;"><a class="sdfootnotesym" href="https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=10168165#sdfootnote3anc" name="sdfootnote3sym">3</a>Extrait
de « Paroles indiennes », textes recueillis par Michel
Piquemal, Albin Michel, collection « Carnets de sagesse</span></span></i><i><span style="font-family: Times New Roman, serif;"><span style="font-size: x-small;"><i><span style="font-family: Times New Roman, serif;"><span style="font-size: x-small;"> »</span></span></i>,
Paris, 1993</span></span></i></div>
</div>
Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-36327468991472744402013-01-31T10:01:00.001+01:002013-01-31T10:01:18.906+01:00<h2 style="text-align: center;">
<b>La Cucaracha</b></h2>
<br />
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Y’a des gens tout pareils que la mer,
icitte. Ils s’en viennent depuis le port, passent sur le sol, puis
s’en vont comme ils sont venus, laissant juste derrière eux une
vague trace, à peine une odeur. J’aimais bien glander du côté
des barrières, pour les voir débarquer, tenter de savoir à
l’avance la profondeur de la trace qu’ils allaient laisser
derrière eux. J’aimais bien. Avant.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Avant la Cucaracha.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Elle a débarqué comme ça, et
c’était, sur la mer de keupons qui grouillaient sur la tarmac,
comme si d’un coup ma planète, cette saloperie de planète de
merde, s’arrêtait de tourner, puis que nous autres, avec la force
d’inertie, on était jetés ailleurs.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
La Cucaracha.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Y’avait un chelou avec elle, un genre
de dur de dur, qui roulait des muscles plus faits de fibre de carbone
que de chair, avec des tendons qui saillaient tout autour du cou,
probable du titane. Un type taillé pur mahousse, du genre à ouvrir
sa route comme un brise-glace en repoussant les keums d’icittte sur
le côté aussi facilement et aussi simplement que pisser dans la
neige la fait fondre. Mais nous, on ne voyait qu’elle.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
La Cucaracha.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
C’est comme ça qu’on l’a tous
baptisés, me demandez pas pourquoi. C’est venu sur la langue,
avant de se piquer dans le cœur, comme une étoile de mer qui
foutrait son bras sur le vôtre, et vous pomperait tout. Elle avait
des jambes, longues, longues, longues, si longues qu’on aurait pu
les escalader toute une vie sans jamais en voir la fin. Et là-dessus,
un joufflu souriant comme un soleil oublié, chaud, ferme, jovial,
dansant. Et plus haut encore, passé l’immense plaine où
tournoyaient les galaxies de ses tattoos, les colonnes du ciel,
pleine d’orgueil, généreuses, nourricières, où nous endormir.
Tellement elle était elle, que son visage, personne pourrait plus
vous le décrire. C’était juste elle, voilà tout, belle comme
seule la beauté pure peut être belle quand elle est belle.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
La Cucaracha.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Qu’est-ce qu’elle venait foutre sur
Fumeterre, ça on avait tous compris, et ça nous mêlait dans les
boyaux de la joie intense et comme un goût de vomi tout mélangé.
C’était une poute de la haute, une qui monnayait ses services très
chers sur une planète toute de douceurs et de plaisirs délicats.
Elle était pas heureuse d’être icitte, ça se voyait clair pur.
Mais le chelou à côté d’elle avec ses muscles en injecté sous
la peau, lui, il ne lui laissait pas le choix. Et nous, derrière les
barrières, on bavait, on trépignait, on était fous, on la voulait
tous pour nous, rien que pour nous, la Cucaracha.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Et on l’a eue.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Tous.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
La Cucaracha.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Sauf que c’est elle qui nous a eus,
en fin de compte. On était la mer, la planète était le sable,
d’ordinaire. Mais là, elle a été la tempête. Et rien n’a pu
la briser.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
J’ai jamais su pourquoi du comment
qu’elle avait chois d’être poute. Elle causait pas max d’elle,
faut dire aussi. Mais écouter, ça oui, elle savait. Ecouter et
conforter ; ouvrir ses bras comme s’écartent les ailes d’un
oiseau, et vous laisser vous nicher là, tout contre son cœur, où
bruisse et chante un souffle infini, léger comme le chant d’un
oiseau, puissant comme la course des soleils. Elle disait pas max,
elle vous accueillait en elle tout simplement, et vous étiez perdu
pour toujours.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
La Cucaracha.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
La poute. Les poutes, vous le savez
bien, c’est du tout naturel, y’a rien d’inorganique dedans,
c’est comme une perle que la vie a abandonné sur le sable et que
vous ramassez, et que vous savez, d’un coup, que l’univers vous
appartient au travers de cette perle. C’est la gueuze d’un seul,
le seul qui peut la garder et l’entretenir, lui faire porter l’or
et le jasmin, et de temps en temps, pour son buziness, la prêter,
temporairement toujours, à des ceusses qui peuvent l’aider comme
ci ou comme ça. On arrive à tout, si on a une poute. Mais c’est
si rare qu’il y en ait une qui s’en vient par icitte…</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Sauf que, des fois, la poute, elle se
souvient qu’elle est humaine. Et parfois, rare de rare, elle se
rebelle. Elle veut sa vie. Elle veut pas passer de bras en bras, de
lit en lit, elle veut pas en elle de keums qu’elle aurait pas
choisi, elle veut simplement être heureuse et libre. Comme nous
tous, icitte. On connaissait pas son pimpe. On l’a jamais connu. On
les connaît jamais, de toutes manières. Ils se planquent derrière
des bilans, derrière des réunions où s’échange plus de pognon
que n’en contient l’univers, derrière des décisions qu’on
comprend pas mais qui les rendent encore plus eux, encore plus pimpe,
tout bénef de la poute sur eux, et du bénef y’en a toujours, rien
pour la poute, tout pour eux, encore plus pourris de dedans que de
dehors. Elle était toute jeune encore, et avait une cicatrice sur le
cou, une petite traînée avec plus de lait que de café sur sa peau
de nuit. Alors on savait qu’elle s’était rebellée. Et que ça
lui avait pas réussi.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
A la Cucaracha.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Probable que, pour faire taire son
chant de liberté, et parce que les pimpes supportent pas qu’on les
empêche d’être pimpes de tout diriger, le sien avait décidé de
la briser. Vieille histoire, vieille comme les poutes, et banale,
somme toute. Vous me direz, où briser quelqu’un totalement, sinon
icitte, sur notre charmante poubelle de planète qu’on nomme
Fumeterre ? Rien que le fait que son pimpe connaissait Fumeterre
disait bien combien haut il était, et de quelle hauteur il voulait
la faire tomber, histoire qu’elle se relève plus jamais.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Ah, la Cucaracha…</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Il a jamais pu la briser. Elle avait en
elle, entre ses cuisses mais pas seulement là, la force de mille
soleils, et la briser, c’était aussi impossible que d’empêcher
une fusion dans un soleil. Le chelou pourtant a fait tout ce qu’il
fallait. Il l’a refilé pour rien, des fois, à des sous-merdes,
qui ont tenté avec elle des trucs qui n’avait jamais été tentés
encore, ou alors uniquement en stim. Et histoire de bien taper sur
les os, il ne l’a jamais laissé prendre du repos.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Elle avait des mains légères comme
une plume, la Cucaracha, et même que vous veniez de passer des jours
sous la pluie sans combine, que votre peau était couverte de
pustules et de plaques suintantes, ça lui faisait rien, elle vous
accueillait comme si vous étiez le plus grand prince que le cosmos
ait jamais vu naître. Elle vous tissait une toile de soie autour de
l’âme, vous y berçait, et c’était tellement magnifique,
tellement fort, que souvent vous ne pouviez rien faire d’autre que
de la laisser mener la danse. Et alors, et alors…</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Qui pourra un jour dire, chanter,
hurler même, la chaleur de ses étreintes, la force de l’ancre
avec laquelle elle vous retenait, et le soleil grisâtre qui, sur sa
peau, prenait dans les clairs-obscurs de la sueur des allures de feu
liquide ? Y’a personne qui peut. Personne. Prenez votre rêve
le plus fou, votre extase la plus puissante que vous pouvez rêver et
vous pourrez pas comprendre tellement que c’était fort. Quand vous
étiez avec la Cucaracha, elle n’était plus rien, y’avait plus
qu’elle.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Je sais pas pourquoi, un jour, elle m’a
causé d’elle. Je suis le seul à qui elle l’ait fait. Et
maintenant, c’est trop tard, plus personne saura jamais si je le
cause pas, icitte et maintenant. Alors je vais vous causer d’elle.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
De la Cucaracha.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Elle était née sur une gentille
planète, avec du soleil, des légumes, des céréales, du bétail,
avec des prairies pleines de fleurs. Elle m’a raconté les
abeilles, ces petits oiseaux minuscules qui volent de fleur en fleur
et chopent la liqueur de parfum, puis la ramènent à leur ruche d’où
coule un vrai ruisseau doré de douceur. Elle m’a dit qu’ici
aussi, avant, si ça se trouve, il y avait des abeilles. J’ai rit,
des abeilles icitte, c’était trop naze, pour ça, il aurait fallu
qu’il y ait eu des fleurs un jour. Puis j’ai plus ri. Parce qu’il
y avait cette vieille histoire qui courait, dans laquelle on causait
d’un coin encore plus nice que Papeete, où il y avait des plantes
toutes douces qui poussaient par terre, toutes vertes, et qu’on
pouvait marcher dessus sans se déchirer la couenne. Elle m’a vu
arrêter de me marrer, elle m’a demandé, et je lui ai raconté le
topo. Son visage d’un coup s’est mis à rayonner comme un soleil
du matin. Et dans mes tripes, j’ai senti comme un vent violent qui
se serait levé, qui me dirait d’aller le chercher pour elle, ce
petit coin où il y avait encore des abeilles.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
J’ai pas eu que du facile, à quitter
ses bras, mais j’ai fermé fort les yeux, et je me suis souvenu de
son visage quand je lui y avait dit. Alors je suis rentré dans un
rade sur Red Hot, et j’ai pris un jus après avoir causé au
mutant.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Nous tous, icitte, on sait bien que,
pour explorer, voyager, tout ça, y’a rien de mieux que le jus
quand on sait s’y prendre. Le donneur vous refile ses rêves, mais
derrière eux, tout au fond, quand vous savez y faire, vous trouvez
une porte qui donne sur ailleurs, sur tous les espaces, sur toutes
les dimensions. Y paraît même que, avec un bon mutant, avec un bon
donneur, vous pouvez vous barrer d’icitte pour de bon, avec votre
corps et tout et tout, pas que avec votre imagination. Et moi, je
voulais des abeilles et du miel. Et ça, y’avait pas à Papeete. Le
mutant était pas trop chaud, mais je lui ai causé de la Cucaracha,
il a rigolé un bon coup (et je me suis foutu dans une rogne soleil
sang parce que je me sentais foutu de ma gueule), et il a dit
d’accord mon gars, on va te le trouver, ce ruisseau de miel
qui coule des abeilles. Il a causé à la radasse, ils ont préparé
un jus un peu spécial, et c’était parti.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Quand on voyage avec le jus, on sait
pas trop où on va. C’est pour ça qu’il faut un mutant. Pas pour
partir, oh non, mais pour vous ramener. Le donneur est le vaisseau,
le mutant est le pilote, et vous êtes le capitaine. J’ai pensé
très fort à la Cucaracha, en plissant les yeux, puis j’ai avalé
mon jus, et le mutant m’a fait monter à bord.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
On a volé longtemps, sur tout
Fumeterre. J’ai vu des hydroponiques à perte de vue. J’ai vu les
secrets de Grey Cave et les voleuses d’âmes de Black Knight. J’ai
vu les champs de sel de Deep South et les vieillards gâteux de Rose
Bose, les techs de Central Sanitaire et les moines de Green Hope,
j’ai vu le sol comme un immense ruban noir de crasse et de fumée,
mais j’ai pas vu de cette herbe et des abeilles.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Alors le mutant a déchiré l’air. Il
y a eu une fissure, et le vaisseau du donneur s’y est faufilé. Et
tout a changé, d’un coup…</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Je reconnaissais la planète, je suis
de Fumeterre, et on n’oublie jamais d’où on est issu. Mais
c’était plus la même. Finies les pluies corrosives. Fini, le
cratère noir de Grey Cave où grouillent des trucs qu’on préfère
pas connaître. Fini la longue avenue de Red Hot, pleine de bruit et
de violence. Juste des plantes gigantesques, plus grandes parfois que
cinq ou même dix humains debout les uns sur les épaules des autres,
avec une tige immense toute brune, ou grise, ou verte, et couronnée
tout en haut, sur d’autres tiges plus petites, d’un feuillage
hallucinant. Et l’odeur, comment pourrais-je jamais vous la dire ?
Si un jour, la vie a pu être une belle chose, elle avait cette
odeur-là.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Et j’ai vu les abeilles. Et les
fleurs. Et les ruches sauvages. Et j’ai goûté le miel, et ma tête
a explosé de bonheur.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Les voyages avec le jus sont toujours
des aller-retours, d’ordinaire. J’ai été arraché,
retourné avec mon dedans dehors et mon dehors dedans, j’ai
été écrabouillé et pressé, puis jeté sur le sol du rade
avec une force incroyable qui m’a laissé en tas, avec dans ma tête
des choses qui y étaient pas avant mais qui y resteraient pour
toujours. Le mutant m’a relevé. Il m’a entraîné dehors, m’a
mis un bandeau sur les yeux, m’a fait tourner sur moi-même tant de
fois que le sol bougeait tout seul sous mes pieds, m’a même
assommé un moment, je crois.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Il m’a assis sur quelque chose de
dur, m’a ôté le bandeau, et ils étaient tous là, les mutants.
Ils ont violé mon âme tellement de fois que je ne sentais plus rien
quand ils venaient et refluaient dans leurs explorations. Puis ils se
sont décidés. Et ils m’ont expliqué.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Des mutants, on en connaît tous un ou
deux, sur Fumeterre. Ça aide, des fois, et, hormis quand ils guident
les voyages du jus, on les croit juste comme vous et nous.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Mais sauf que c’est des mutants. Et
qu’ils ne sont pas tous nés cons. Alors ils ont décidé de
s’assembler. Ils se réunissent, et tous ensemble, ils cherchent un
moyen de changer le cours des choses sur cette planète. Ils savent,
pour les abeilles et le miel. Et savent comment y faire pour y aller
et en revenir. On s’en doutait tous un peu, nous les pas mutants,
mais avec les jus et leurs pouvoirs, ils ont la possibilité de vous
faire réellement voyager pour de bon, avec le corps comme avec
l’esprit. Sauf que, en dehors d’icitte, personne ne le sait et ne
doit le savoir. Sauf qu’ils n’avaient jamais tenté de voyager
ailleurs que dans l’univers et le cosmos. Mais ça, c’était
avant que je cause de fleurs, d’abeilles et de miel. C’était
avant la Cucaracha.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Oh, ils avaient bien compris, les
mutants, la poute et son pimpe qui voulait la fracasser, et elle qui
n’avait nulle part où aller. Et ça faisait quelques temps déjà
qu’ils s’étaient demandés jusqu’où ils pouvaient aller.
Parce que, sans rien dire à personne, ils avaient déjà exploré
tout l’univers connu et inconnu, et que partout, ils avaient
rencontré soit des mondes inhabitables, soit des planètes écrasées
par l’Imperium, soit des endroits vierges mais où tout était à
faire. Ils avaient rencontré toutes les formes de vie de l’univers,
les intelligentes comme les non-sapientes, ils avaient vu des
civilisations éblouissantes comme des flammes et d’autres
paisibles comme des champs de pavots, ils savaient tout de ce que
l’on peut savoir sur les lieux, et s’ils ne savaient pas, ils
savaient où trouver l’info. Ils avaient sympathisé avec des
Capers, et connaissaient le réseau comme leur poche, même s’ils
ne s’y rendaient que rarement. Ils savaient froisser et défroisser
la trame de l’univers, et l’espace ne signifiait rien pour eux.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Mais le temps…</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Alors ils m’ont dit. Il y avait la
Cucaracha qui ne pouvait aller nulle part dans l’univers sans que
un jour ou l’autre elle ne se fasse rattraper par son pimpe. Et il
y avait cette expérience que jamais encore ils n’avait faite.
Froisser et défroisser le temps. Ils m’ont dit…</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Avant, il y a très longtemps, quand
les vaisseaux ne parcouraient pas les étoiles, quand le réseau
n’existait même pas, quand Fumeterre ne s’appelait pas encore
comme ça… Ils avaient exploré le temps de Fumeterre, ce temps si
particulier qu’icitte il fait des boucles et des nœuds, et qu’on
ne peut pas vraiment en sortir, c’est pour ça qu’il pleut
toujours et que les pluies vous bouffent la peau. Et ils avaient un
peu la trouille d’en faire sortir quelqu’un.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Les mutant ne peuvent pas voyager.
C’est le prix qu’ils payent pour leur pouvoir. Même ceux de Grey
Cave, si particuliers avec leur caillou dans le crâne, ne peuvent
pas. Ils sont condamnés à rester icitte, jour après jour. Et eux
aussi, ils ont besoin de liberté. Alors ils cherchent, ils
cherchent, ils cherchent, comment s’échapper.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Et la Cucaracha pouvait être leur
vaisseau. Ils avaient besoin d’une ancre, d’un humain pas
modifié, pour tenter le voyage. Et moi, là-dedans ?</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Sans moi, la Cucaracha ne partirait
pas. C’était le prix qu’elle avait décidé de payer pour
pouvoir rêver et se regarder sans honte. Elle leur avait dit. Tout
s’était décidé dans mon dos. J’aurais du être fou rage, plein
de Soleil Sang, mais non, j’étais même plutôt heureux. Alors on
a dit banco.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Tout à l’heure, dans ce rade si
pourri que personne n’y vient jamais, pas même les techs de Black
Knight, avec la Cucaracha dans mes bras, on va partir. Et, sous les
frondaisons des branches de la forêt, on va s’aimer pour toujours.
Icitte, mais ailleurs dans le temps. Dans le temps d’avant
Fumeterre. On boira le miel des abeilles, et on sera heureux.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Ce n’est pas sans danger. Ça ne
s’est encore jamais fait. Mais si ça marche, les mutants pourront,
à tout jamais se barrer dans leurs rêves et offrir à tous des
petits bouts de vérité. Il n’y a que comme ça qu’un jour,
l’Imperium cessera d’être l’Imperium et que les règles du jeu
changeront réellement.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Alors ils ont fait leurs trucs de mutants. A La
Cucaracha et à moi. Comme qui jette un papier dans le vent, histoire de voire jusqu'où il va voler.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
J’ai La Cucaracha dans mes bras, ses
jambes longues comme une course vers une planète lointaine touchent
les miennes. Nous sommes nus tous les deux, peau contre peau, et nous
avons bu le jus. Puis le mutant touche nos épaules, et soudain, il
pleut sur ma peau, et je suis mouillé sans être brûlé. Quand
j’ouvre les yeux, une feuille verte d’arbre tombe sur nos deux
corps étreints. Nous sommes arrivés, enfin…</div>
<div style="margin-bottom: 0cm;">
La Cucaracha et moi.</div>
Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-81270493402739910542011-12-10T09:16:00.002+01:002013-01-31T10:02:45.409+01:00La voie du dessous<div style="text-align: center;">
<span style="font-style: italic;"><br />Cette nouvelle est actuellement en lecture. Elle devrait paraître dans une anthologie sur l'Afrique dirigée par Marc Bailly.</span></div>
Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-75883458507900509252011-11-11T14:04:00.003+01:002011-11-18T17:46:37.493+01:00Incube (titre provisoire)<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">En dépit du soleil, haut dans le ciel et qui dardait des rayons brûlants sur ce bel après-midi d'été, l'endroit dégageait une impression un peu sinistre. Yseult, habituée pourtant aux bâtiments romans lourds et massifs de par sa profession d'archéologue médiéviste, en ressentait le poids peser lourdement sur ses épaules.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Etait-ce du aux glapissements courroucés des choucas, aux cris rageurs des corbeaux, ou aux piaillements incessants des hirondelles ? Même la forte luminosité n'arrivait pas à dissiper le sentiment d'angoisse ténu qui prenait le visiteur s'aventurant en ces lieux. Au milieu du concert criard d'oiseaux noirs se disputant la place, le chant de la mésange, que Yseult avait toujours associé à l'été, semblait incongru, déplacé. Même la tessiture, lisse et douce, du répons mélodieux d'un merle, composant pour sa belle une joyeuse complainte aux accords et trilles complexes, ne parvenait pas à rompre ce fond sonore lugubre.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">La jeune femme sentit un frisson courir le long de la colonne vertébrale, alors qu'elle contemplait la tour, probablement seule subsistante d'un ensemble bâti au XI<sup>ème</sup> siècle, peut-être pour défendre la place. Elle fit le tour de la bâtisse, luttant contre les ronces qui, alliées dans une âpre lutte territoriale aux orties, avaient envahi les anciennes douves en disputant une place chiche aux noisetiers, épine-vinette et houx. Chacun de ses pas faisait s'envoler une myriade d'insectes, sauterelles, grillons, papillons, coccinelles, qui trouvaient sous les feuilles et les tiges à la fois gîte et couvert. A deux pas de là, un immense aulne au tronc tortueux s'était acoquiné avec un hêtre à la ramure imposante et au tronc couvert d'un chèvrefeuille exubérant bourdonnant des ailes de milliers d'insectes butineurs ; leurs ramures emmêlées avait des allures de noces obscènes et contre nature. Sur le sol, dans quelques places laissées libres par les chiendents agressifs, un minuscule parterre de véroniques bleues apportait, contrastant avec la menthe odorante en fleur, une touche de couleur qui laissait augurer que la vie palpitait néanmoins ici sous une forme moins agressive. Et cette flaque d'azur, insignifiante somme toute, mais rehaussée en contraste du jaune des pissenlits ébouriffés qui poussaient un peu plus loin, était tout à fait à même de dissiper la gêne qui saisissait le visiteur en ces lieux.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Le cadastre disait juste. Il s'agissait bien d'une ancienne place forte, érigée probablement par un potentat local pour se défendre contre les brigands et conserver un lieu sûr. En grosses pierres, le mur était colmaté par un mortier d'argile et de paille sur lequel le temps avait laissé de fréquents jours que colmatait, en grands pans d'un vert sombre, un lierre exubérant. La porte en bois, depuis longtemps retournée à la poussière et aux insectes xylophages, n'était plus ; une végétation clairsemée, de plus en plus pâle à mesure que l'on pénétrait dans la tour, tentait de coloniser les lieux. Si, comme Yseult en avait l'intime conviction, il s'agissait là d'un bâtiment exceptionnellement conservé, il y avait urgence à le dégager de la gangue végétale qui menaçait de le réduire à quelques rocs épars.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Quand l'archéologue passa le seuil, une nuée de choucas prit son envol, et elle eut la brève impression que, de cette tenture noire et mouvante, se dégageait comme une longue respiration sèche issue d'un passé à jamais perdu sous la poussière. A nouveau, elle frissonna.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Une chose, ronde, molle et dure à la fois, faillit la faire choir alors qu'elle marchait dessus. Se baissant, Yseult ramassa un crapaud débonnaire qui plongea les paillettes d'or de ses yeux dans les iris couleur de ciel de l'archéologue. La jeune femme sourit. Elle avait toujours apprécié ces batraciens discrets, déifiés en Égypte et ailleurs, et ne goûtait guère aux légendes associant cet animal aux maléfices et à la mort, préférant indubitablement l'associer aux contes où, sous l'effet d'un baiser, il se transformait en prince charmant. Elle fut tentée, par défi autant que par amusement, d'expérimenter un bref instant la véracité de ces histoires anciennes. Yseult aurait bien besoin, en effet, d'un prince charmant. Son cœur de gratteuse de poussière était en jachère depuis bien trop longtemps et le vide que constituait dans sa vie son statut de célibataire appelait tant à être comblé quand, parfois, la nuit, elle s'éveillait dans des draps qui soudain lui semblaient bien trop froids, et son lit bien trop grand pour une seule personne. Mais elle n'était pas venue céans pour jouer les jeunes princesses enamourées ou les rêveuses évaporées. Lui accordant une brève caresse, elle reposa le batracien sur le sol.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L'intérieur, pauvrement éclairé par les ouvertures multiples dans les parois, baignait dans la luminosité verte apportée par le soleil filtrant le lierre. L'air sentait sentait l'humus desséché et des souvenirs de choses mortes auxquelles se mêlaient des remugles acides de déjections animales. Sous sa chaussure de marche, quelque chose craqua, ossement d'un petit rongeur dévoré ici au calme par un renard ou un blaireau, ou encore squelette d'un oiseau aux plumes fanées parsemant de leur souvenir coloré les reliefs anciens du festin d'un rapace. Si la tour ancienne était bien connue de la vie animale, pour autant l'homme ne faisait plus partie de ses occupants depuis bien longtemps. D'ailleurs, qui aurait bien voulu s'installer ici, loin de tout ? La place, située en hauteur, offrait certes un panorama impressionnant sur les alentours, mais la forêt proche en encombrait l'horizon et pour accéder ici, Yseult avait dû batailler ferme pour s'extirper des sous-bois touffus qu'une nature foisonnante de verdure avait colonisé totalement.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Conséquent de l'éboulement partiel d'un mur, un gros tas de pierres encombrait un angle de la pièce. Au sol, d'innombrables coquilles d'escargot vides indiquaient sans l'ombre d'un doute qu'une famille hérisson y avait demeure depuis de nombreuses générations.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Le rez-de-chaussée, se composait en tout et pour tout d'une seul pièce, carrée, et vide. L'œil exercé de Yseult distingua néanmoins, aux légères marques sur le sol, l'emplacement de quelques meubles, depuis longtemps pulvérisés par l'inexorable passage du temps : une table, quelques tabourets ou bancs, une armoire peut-être, un coffre ou un râtelier...</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">A la lueur de la lampe torche qu'elle venait d'allumer, la jeune femme trouva sur la terre qui composait le sol des traces rouges, du fer certainement depuis longtemps rongé et retourné en poussière sous l'action de l'humidité et de la rouille conséquente. Il y avait eu des armes entreposées ici, et l'on pouvait sans peine imaginer, dans ce tracé oblong, la forme d'une longue dague, ou encore en cet endroit la rondeur d'une masse, voire plus loin, là, multiples, les restes de fers de lances. Yseult, consciente toutefois qu'il eût fallu des analyses chimiques pour en avoir la certitude, pensait pour sa part, tant en raison de la nature des lieux que de leur emplacement, qu'une garnison était postée ici, autrefois, quand résonnaient les bruits des hommes et que la nature n'avait pas repris ses droits. Mais désormais, seuls les fantômes des armes hantaient encore les lieux et venaient confirmer ses soupçons.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Un escalier, au fond, en pierre, menait vers le haut. Il avait curieusement été épargné par les ravages de l'entropie, et semblait suffisamment solide pour que l'on puisse s'y aventure. L'archéologue y posa le pied et, lentement, précautionneusement, tout autant pour éviter de l'abîmer qu'afin de ne point chuter, en gravit les degrés. Si le plafond depuis belle lurette n'était plus, il en subsistait de grandes poutres marquées des tunnels et circonvolution des tatouages dus aux vers xylophages.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L'escalier débouchait sur un espace, carré lui aussi, et vide. Une ouverture béante dans le mur laissait pénétrer un petit peu largement les rayons du soleil. L'étage sans conteste était destiné à disparaître dans un avenir très proche et semblait ne tenir en place que grâce à la vertu des innombrables toiles d'araignée festonnant liant les poutres aux parois et aux restes de planches vermoulues dont seul subsistaient quelques moignons, accrochés aux parois comme des arapèdes sur des rochers affleurant, attendant que patiemment la mer du temps les dissolve et les façonne en grains de sable. Toutefois, aux légers affaissements locaux des bastaings anciens et vermoulus, l'on pouvait encore deviner, avec un rien d'imagination, le souvenir de cloisons.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Sans raison aucune, Yseult pensa que l'étage autrefois servait de prison ; mais qui donc avait-on enfermé ici ? Des brigands capturés en attente de leur jugement ? Et si cette tour était le repaire de malandrins, de détrousseurs, des hommes et femmes, dans l'attente d'une rançon payant le solde de leur incarcération ? Les hommes étaient souvent cruels, en ces temps troublés, ne reconnaissaient pour seule et unique raison que la loi du plus fort. Les pensées de la jeune femme prenaient un ton morbide, contrastant violemment avec la clarté de l'après-midi et les bruits de la nature bruissant de vie au sein du lierre extérieur et dans la moindre fissure de la paroi. Effleurant les franges de son esprit, des images naquirent brièvement de torture, de violence, de cris et de pleurs, de larmes et de sang versé, pour s'évanouir aussi rapidement qu'elles avaient vu le jour. Mais l'archéologue était accoutumée à de telles pensées, et la force de l'habitude les avait apprivoisées, et désormais elles n'étaient que des données à computer, à ordonner pour bâtir un tableau des temps anciens.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Comme elle le faisait fréquemment lorsqu'elle découvrait un possible lieu de fouilles, Yseult s'assit, dos contre la paroi, sur la dernière marché de l'escalier, et tenta de sentir l'atmosphère des lieux, de s'en imprégner, de mieux appréhender où elle se trouvait et ce qu'il était possible de faire, d'imaginer comment alors étaient agencées les pièce de la bâtisse. Les yeux fermés, elle écoutait, sentant sur sa peau la chaleur du soleil, sous ses fesses la pierre, froide en dépit de la température de l'été, contre son dos le grain grossier des roches mêlées aux restes du mortier qui les avait assemblées et jointes.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Quoi qu'ait pu être cette bâtisse, l'archéologue s'y sentait bien, le Moyen-Age et ses cruautés étaient loin dans le temps, et la jeune femme s'abandonna, l'espace de quelques instants, à ce sentiment de ne faire qu'un avec l'endroit, un peu comme si toute sa vie n'avait été qu'une longue convergence inéluctable vers cette tour médiévale, comme si, ici, enfin, elle trouvait, au-delà de son emploi, un vrai sens à son existence. Plongée dans une rêverie profonde, elle en perdit la notion du temps.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Le tonnerre, éclatant brutalement, la fit sursauter, réveillant en sursaut dans son fracas un vol fébrile de murins, rhinolophes, oreillards et noctules ; répondant à la nuée des chiroptères, la pluie, déversée à foison d'innombrables tonneaux célestes, tomba à verse, et les nuages, chargés d'énormes gouttes, cachèrent le soleil qui l'instant d'avant chauffait sa peau. Un vent violent, froid et humide, se leva, faisant tourbillonner la poussière en grands diables virant en tous sens. Yseult enserra ses genoux dans l'étreinte de ses bras et, brutalement saisie par la différence de température, frissonna. Si elle était, là où elle se tenait, relativement à l'abri de la pluie, les grandes gifles de la bise d'orage la fouettaient sans discontinuer. L'escalier déjà était trempé, et le descendre allait s'avérer pour le moins périlleux ; aussi attendit-elle la fin de l'orage estival qui, sans discontinuer, faisait rage au-dehors.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="CENTER">***</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Yseult fut réveillée par un hurlement affreux qui faillit la faire choir des marches de l'escalier. Se morigénant, se moquant d'elle-même et de ses craintes stupides, elle identifia le cri terrifiant d'une jeune chouette effraie. Elle n'avait pas souvenir de s'être endormie ; ses muscles raides lui affirmaient que pourtant tel avait bien été le cas. La lune s'était levée, l'orage éloigné. Il faisait frais, mais non au point de glacer la peau. Seul souvenir de la tempête, un vent léger caressait le visage de la jeune femme, portant des senteurs nocturnes, mais aussi celle de la poussière, de choses oubliées et que l'on aurait tort de vouloir se remémorer. Une chouette en maraude hulula, et son chant bientôt fut repris de proche en proche par ses congénères. De la mer de son assoupissement émergeait dans l'esprit d'Yseult, en écume frémissante volant au vent de ses pensées, d'étranges images, un homme en costume médiéval, des armes, des combats, la brûlure d'un amour intense. Si elle avait prêté quelque attention aux signes et messages des rêves, elle aurait pu en conclure que la tour avait capturé une parcelle de son âme et que les pierres et les murs chargés d'âge lui communiquaient des visions chargées de sens et des messages la concernant, elle, sa vie, sa fonction, son avenir ; mais lorsqu'on est archéologue, toute théophanie est à prendre comme expression culturelle, et Yseult écarta bien vite ses pensées, indignes de la chercheuse cartésienne qu'elle se targuait d'être.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Gagnant en force, le courant d'air se fit insistant. Soudain inquiète devant ce phénomène étrange, l'archéologue regarda autour d'elle : il lui sembla, incongrûment, qu'il n'y avait que sur son corps que soufflait le vent. Elle tendit l'oreille. Au sein des bruits nocturnes de la nature, elle perçut comme un murmure sec et froid échappé d'une bouche chargée d'éons ; glacée d'horreur, la jeune femme crut y reconnaître son prénom, chuchoté dans la nuit : « Yyyyyyyyyseuuuuuuuult ... Yyyyyyyyseuuuuuuuuuult ... »</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Tentant de masquer, sous un rictus amusé et crispé, la crainte qui commençait à lui tordre les entrailles, Yseult se raisonnait : nul ne pouvait l'appeler, il n'y avait personne aux alentours, ce devait être l'effet de son imagination débordante, de ses songes et rêveries ineptes. Mais à mesure que passait le temps et que son visage était incessamment balayé par le vent sec, le cri se faisait plus précis, plus proche, évoquant le bruit de grandes ailes de rapaces, mais aussi la menace inéluctable de grand périls à venir.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Mais le vent, brise se faisant bise, centré sur sa personne, insistant, caressant ses joues, s'attardant sur ses lèvres, balayant dans le même temps sa nuque au mépris des lois qui régissaient les mouvement des mouvements d'air....</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">« Un vent tournoyant, probablement, ou tourbillonnant, ou que sais-je encore » tenta-t-elle de se rassurer. Mais quand ce vent s'insinua entre les boutons de sa chemise pour venir passer sur sa peau nue, elle ne put empêcher un intense sentiment de frayeur l'envahir. Elle eut pu se lever, courir au bas des marches et retrouver plus loin, au terme d'une bonne heure de marche, la civilisation et l'abri, confortable et rassurant, de sa voiture ; glacée de terreur, elle était paralysée, bloquée là en haut des marches, en cette tour à vocation guerrière passée, dont l'atmosphère soudain serrait sa gorge et faisait battre son cœur d'une violente panique glaçant ses sangs et la pétrifiant sur place, faisait couler en ses veines un sang plus froid que le plus profond des hivers, roidissant ses muscles et la laissant ainsi désarmée et sans défense, proie devenue jouet sous les prunelles d'un effroyable prédateur.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">« Yyyyyseuuuuuuuuuult, souuuuuuuuuuviiiiiiiiiens-toiiiiiiiiiiiiiiiii... Yyyyyyyyyyyseuuuuuuuuult, Yyyyyyyyyseuuuuuuuuult, souuuuuuuuuuuuuviiiiiiiiiieeeeeeeeeens-toiiiiiiiii ... »</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Son imagination désormais lui faisait interpréter les vagissements du vent dans les pierres disjointes, la portait à donner un sens à ce qui n'était que fariboles, monstres dans le placard et autres contes à dormir debout. Pour autant, la jeune femme se sentait bien incapable de bouger et de quitter les lieux. Les yeux fermés avec force, elle tentait sans grand succès de se rassurer, de se raisonner, quand soudain le vent, de plus en plus insistant, de plus en plus fort, arracha le premier bouton de sa chemise, exposant la naissance de sa gorge nue.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Yseult, brisant brutalement la gangue de terreur qui avait emprisonné jusqu'ici ses cordes vocales, hurla de terreur.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Alors, soudains le vent cessa de souffler.</p>Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-79350233132329069212010-12-16T17:50:00.002+01:002010-12-16T17:56:33.924+01:00Bolltroal<p style="margin-bottom: 0cm;">Qui n'a jamais entendu Bolltroal tousser, au beau milieu de la nuit, dans un récepteur télé débranché, ne sait pas ce que c'est que l'angoisse.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;">C'est une toux grasseillante, comme des cailloux qui rouleraient dans une bétonnière emplie d'huile, roulant les uns sur les autres dans un fracas métallique et mouillé.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;">Et sa voix, sa voix... grêle, haut perchée, ridicule ; même si personne jamais ne le vit, ceux qui eurent un jour le déplaisir de l'entendre ne peuvent désormais imaginer Bolltroal autrement que sous la forme d'un gnome obèse, au visage pourtant terriblement famélique, un visage où la peau serait tendue à se craquer sur des pommettes osseuses, et au beau milieu de celui-ci, embroché comme un rameau de saule tortueux, un nez long et grêle, surplombé de deux petits yeux malveillants aux reflets jaunes ; quant sa bouche, croissant de lune grignoté par des minuscules dents pointues, ouverte sur un rire moqueur et terrifiant, comment l'oublier ?</p> <p style="margin-bottom: 0cm;">Voyez mes cheveux, qui en l'espace d'une nuit sont devenus blancs, voyez mes mains qui tremblent, mon regard affolé sans cesse qui court d'un coin sombre à un autre, observez comme le moindre bruit me fait sursauter. J'ai connu ce démon, dans une autre vie, dans un passé qui n'est pas si loin. Mais j'en suis revenu. Alors, excusez mes gloussements hystériques, excusez mes sautes d'humeur. Car, moi, j'en suis revenu, même si ayant laissé dans cette rencontre une part de moi-même, peut-être la plus importante ; mon âme, diraient certains.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;">Cela a commencé un soir alors que j'étais couché et errai entre sommeil et conscience, entre rêves et réalité.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;">Un toux, grasse et malsonnante, m'avait réveillé. Celle de Bolltroal, même si je ne connaissais pas son nom, à l'époque. Autour de moi, la maisonnée dormait, silencieuse. La gouvernante, dans sa chambre, ronflait. Le cuistot, à l'étage, remuait dans son seommeil, faisant grincer les ressorts de so sommier. C'était l'hiver, un hiver gris et triste au manoir, avec le chant des râles d'eau et des effraies pour vous tenir compagnie dès 17 heures, quand le soleil se couche..</p> <p style="margin-bottom: 0cm;">Je ne vis plus au manoir. Nul n'y dort plus que, le temps d'une nuit, des hôtes de passage, de ces personnes qui souhaitent connaître le grand frisson et se moquer au petit matin de leurs terreurs nocturnes. A leur grand dam, Bolltroal ne se montre plus, pas plus que son grand chien jaune qui arpentait les couloirs et les escaliers, quand tout était calme et endormi, ses griffes cliquetant sur le bois du parquet et éveillant des échos étranges et secs dans les chambres inoccupées.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;">Un manoir, pour l'entretenir, on en fait en général un hôtel plein de cachet. En matière de cachets, le mien regorgeait de ceux prescris par les différents médecins et psychiatres qui se succédèrent un jour ou un autre à mon chevet, car sinon... En soi, la bâtisse du 19<sup>ème</sup> siècle avait ce caractère ostentatoire et industriel très m'as-tu-vu qui avait cours dans la petite noblesse bretonne d'alors. Façade tout en angles, une petite terrasse, des fenêtres rectangulaires, et hormis la vue magnifique sur la forêt, rien d'exceptionnel, somme toutes. Sinon qu'on l'a disait hantée.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;">Et que l'on avait raison, même si les fantômes qui la hantent sont faits de souvenirs douloureux et culpabilisants. La seule force de Bolltroal est là, mais il me fallut plus d'une nuit pour le découvrir.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;">Car c'est de la sorte que ce démon se manifeste, par les souvenirs. Ça, et sa toux, dans les récepteurs télés éteints, et quand tout le monde dort profondément, bien sûr.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;">De tous ceux qui y louèrent une chambre, je ne sus que rarement comment ils avaient eu vent de la hantise du manoir. Le web, peut-être, ou alors un entrefilet dans un journal quelconque en mal d'article sensationnel. Mais cela n'a gère d'importance.</p>Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-80378807037898522322008-10-30T11:41:00.002+01:002008-10-30T11:50:28.709+01:00Brumes de nuit en phase d'évaporation<div align="center"><span style="font-size:85%;"><em>Me voici à nouveau, Luminalba, présent devant toi. Je sais que, concernant de nombreux textes, ils sont nombreux à m'attendre, il y a Lucie, il y a Ned, il y aussi ce fan-club qui s'est créé. Mais parfois, le besoin d'écriture ne s'accomode pas de chemins nécessaires et prend des voies de traverses, nourri par les liens hors des textes, ceux de la vie où vivent de vraies personnes. On ne maîtrise pas toujours son inspiration. Alors, pour ceux qui avaient aimé la princesse et le paysan, voici une variation locale de ce compte. A bientôt, les gens, portez-vous bien, et n'oubliez jamais de chanter.</em></span></div><div align="center"><em><span style="font-size:85%;"></span></em> </div><div align="center"> </div><div align="center"> </div><div align="center"><br /><strong><span style="font-size:180%;">Marguerite blanche biche</span></strong></div><p><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong> </p><p><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong> </p><div align="center"><br /></div><div align="right"><em><span style="font-size:85%;">Selon une très vielle légende,</span></em></div><div align="right"><br /><em><span style="font-size:85%;">En hommage à Charles Quimbert et à tous les collecteurs des souvenirs qui s’effacent.</span></em><br /></div><div align="justify"> </div><div align="justify">La nuit particulière de cette année -là, le vent s’est éteint, avec un dernier chuchotis murmuré dans le friselis de l’eau du lac. L’automne roussissait les fougères et rougissait les feuilles des arbres. Sur l’eau immobile s’est dessiné, tremblotant, le reflet de la lune pleine et de son halo d’argent. Une chouette est passée, silencieuse, dessinant de son vol léger une fragile strie, noire et fugace, sur le tapis d’étoiles de la nuit. Un grand frisson a parcouru les berges du lac du château de Comper, quand dans le monde caché gémirent, pour la première fois de tous les temps, les voix des pleureuses.<br /></div><div align="justify"> </div><div align="justify">Sous l’onde, tout dormait. Dans le palais de cristal de dame Viviane, que seul savent discerner ceux qui accrochent des étoiles dans les irisations de leurs pupilles, rien ne bougeait, les portes étaient closes. Les algues ondulaient paresseusement dans le léger courant et l’on aurait presque pu se croire emprisonné dans un verre épais. La proximité entre le monde du petit peuple et celui des humains se faisait évidente, et ses frontières fragiles ; car des ponts parfois naissent spontanément, en de telles nuits, quand une feuille, en cercles lents, choit du firmament et fait croître, sur la surface du lac, des cercles concentriques qui lentement s’éloignent et s’évanouissent au lointain.<br />Viviane avait parmi ses suivantes une dénommée Marguerite, fille des forêts qui l’avait suivie dans son palais. Et quand les soirs de pleine lune résonnait l’appel du cerf sous les ramures des bois proches, Marguerite sentait battre plus fort son cœur, et le désir la prenait de revenir parmi les siens. Alors, subrepticement, sans déranger le moindre grain de sable du fond du lac, elle ouvrait l’une des fenêtres du palais de cristal et s’accoudait sur son chambranle. Elle soupirait silencieusement, écoutait, à en perdre raison, les bruits des halliers et des sentes, le passage furtif d’un renard en maraude, le grognement sourd du sanglier fouissant, le halètement de la harde qui paissait dans les clairières et qui, sans nul doute, formait des panaches de vapeur dans la froidure de la fin d’octobre. Le mois tirait à sa fin, et novembre à venir était en gésine de linceuls blancs sur l’herbe du matin.<br />Un tel soir, elle sentit sur son épaule, léger comme un rêve de papillon qui se poserait, la paume de sa maîtresse :<br />- Te voilà bien songeuse, Marguerite. Quel est ce secret qui barre ton front d’une ride, qui éteint les étincelles dans tes yeux ?<br />- C’est que je me languis, Viviane ma maîtresse. Les arbres de Brocéliande me manquent, comme le bruit de mes pas dans les feuilles mortes, et l’odeur de l’hiver qui peu à peu empreint le monde de la terre, quand ici est le monde des eaux.<br />- Tu es fille des forêts, et tu as choisi de demeurer avec moi, m’en faisant la promesse ; souhaites-tu que je te délie de ce serment ?<br />- Je n’ose vous le demander, Viviane ma maîtresse. Mon cœur se consume de ne pouvoir à nouveau battre sous la cime des hêtres et des chênes.<br />- Alors va, Marguerite, je te délie, pour une nuit, de ton engagement. Cette nuit est tienne. Mais cependant, je te mets en garde…<br />- Oui, Viviane ma maîtresse ?<br />- Hors de ce palais, la vie n’est pas seulement chemins de chevreuils et blaireaux, car depuis que tu me suivis ici, les hommes se sont arrogés le droit de faire la forêt à leur image, une image de force, de violence et de mort. Prends garde à ne pas croiser leur chemin, Marguerite.<br />- J’en aurai grand soin, Viviane ma maîtresse. »<br /></div><div align="justify">Etendant ses bras couverts d’une mante en tissu léger, Marguerite prit son envol du fond du lac, gagnant la surface à grands coups d’aile tranquilles. Entre les nénuphars, sa tête émergea, et l’eau lissait ses cheveux blancs et faisait un masque luisant à sa douce figure. De la manière d’un serpent, sinueuse et vive, elle gagna le rivage et sortit de l’onde, sous la pleine lune d’octobre.<br />Suivante de la fée Viviane, elle connaissait le secret des images. Sur le lac, son reflet explosa sans un bruit en une myriade d’étincelles fulgurantes. Quand repassa sous l’astre nocturne le vol de la chouette, buvait, le cou tendu, éclairée par l’argent de la lune, une blanche biche.<br />Marguerite releva la tête, huma l’air de ses naseaux veloutés, ses oreilles frétillèrent. D’un bond gracieux, légère comme une touffe de plumes emportée par le vent, elle s’élança en direction des arbres proches.<br />La harde paissait dans la clairière. Elle passa la nuit avec ceux qui étaient ses semblables à présent. Puis, au petit matin, comme la brume se levait sur le lac, elle regagna l’onde et redevint la suivante de la fée Viviane, jusqu’à l’année suivante.<br /></div><div align="justify">Il en fut ainsi, au fil des temps ; chaque dernière nuit d’octobre, elle quittait le palais de cristal et renouait avec les liens de la forêt. A chaque fois, le paysage, pourtant toujours le même, différait. Un pont fut construit, un château de pierre érigé, des hommes y vécurent, se succédant génération après génération. Il y eut des flammes, certaines années, qui couronnèrent l’édifice, et ces années-là Marguerite ne quittait pas le palais de cristal. Il y eut des fracas terrifiants, acier contre acier, des râles, des cris et des pleurs, et ces années-là non plus elle ne s’éloignait du palais que la magie de sa maîtresse, instruite par le grand Merlin, cachait aux yeux de tous, de plus en plus profondément, de plus en plus loin.<br /></div><div align="justify">Le monde des hommes se transformait, des machines bruyantes rayaient l’azur du ciel, des détritus étranges se posaient sur le fond du lac, désormais de vase, et y demeuraient pour une éternité, refusant de retourner à la terre comme le font les seules choses qui comptent.<br /></div><div align="justify">Mais un jour, sur les berges du lac, refleurirent les robes et les broderies de temps révolus, et, suivis d’une troupe assez grossière d’humains du vingtième siècle, des figurants encostumés faisaient revivre la splendeur des âges d’autrefois, quand les frontières entre les mondes étaient plus ténues. Cette année-là, alors que, à proximité du lac, le chêne fêtait ses quatre cents ans, Marguerite osa à nouveau quitter le palais. Mais elle ne se transforma point en blanche biche, choisissant de côtoyer, l’espace d’une nuit, ces humains de théâtre. Au fil des ans, elle apprit à les connaître, et dorénavant, son cœur battait plus fort et rougissait ses joues quand surgissait Renaud, la taille souple, les épaules larges, le cheveu noir et les yeux bleus.<br />Il faisait partie de la troupe du Cercle de l’Imaginaire Arthurien qui, tous les ans, pour le bonheur des touristes, tentait de faire revivre les légendes de Brocéliande. Il sympathisa avec Marguerite, et s’étonnait de ne la voir qu’une seule nuit l’an ; mais jamais la suivante de Viviane ne lui révéla son secret. Il lui fit maintes promesses, lui tint maints langages roucoulés d’amoureux, la prit souvent par la taille, inventait pour eux deux des jeux adultes, mais jamais ne sut voir la blanche biche sous la peau de la femme ; quant à la suivante de Viviane…<br /></div><div align="justify">Renaud rêvait les temps imaginés de la légende, les recréait sans se soucier de leur vérité ou de leur cohérence, jouait être un seigneur de jadis, vivait en somme plus sous son costume médiéval que dans son triste habit gris d’humain banal. Mais toujours, il ne voyait Marguerite qu’une seule nuit l’an.</div>Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-40814145429879197892008-07-21T11:37:00.008+02:002011-11-18T17:51:27.842+01:00Issu de la glaise, tu retourneras à la glaise<div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:85%;"><em>Cette nouvelle est parue dans l'anthologie "Jeunesse Eternelle" parue aux éditions Lokomodo<br /></em></span></strong></div>Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-45980630166415535962008-07-21T11:01:00.004+02:002008-07-21T11:35:09.658+02:00Quelques larmes, de l'eau au coeur de l'été<div align="center"><em>J'ai été absent longtemps, Luminalba. Mais je ne suis jamais bien loin, tu sais ?</em></div><div align="center"><em>Voici quelques larmes, de l'eau salée comme la mer. Je ne suis pas souvent quelqu'un de très gai, et pour me faire pardonner mes cris, pour donner à ceux qui nous lisent les clés pourcomprendre comment laisser l'eau couler sans y brûler l'âme ou le coeur, je vais ajouter une deuxème histoire, plus initiatique, plus chamanique.</em></div><div align="center"><em>A bientôt, le monde, à bientôt, les gens.</em></div><p> </p><p> </p><p><br /> </p><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;">Capt'ain Bill</span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong> </div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong> </div><div align="left"></div><div align="left"></div><div align="left">Papa met de l'huile, mais dit jamais rien, vu son caractère, comme dit maman. Maman, elle, elle met du harissa. Tu comprends, qu'elle me dit, c'est pour que l'os ait du goût. Moi, je m'en tape, du goût de l'os, tout ce que je sais, c'est que harissa, ça brûle grave et que j'aime pas ça.Pendant qu'ils font leurs trucs, moi, je ferme maximum les yeux et je pense au cap'tain Bill et comment je vais le torturer la prochaine fois que je vais le voir.</div><div align="left"></div><div align="left">Le cap'tain Bill n'existe pas pour de vrai, faut pas non plus me prendre pour un naze légume, je sais bien que c'est une invention, mais moi, je trouve que c'est une invention maximum pratique et puis que c'est une invention que j'aime bien.</div><div align="left"></div><div align="left">Avant, y'avait que papa, maman, elle faisait rien. Mais depuis qu'il y a eu ce soir, avec les milices et tout le reste, quand elle est rentrée maximum tard avec sa robe toute déchirée et que papa a rien dit du tout malgré que son shoot était trop vieux et qu'il a tout vu, alors ça l'a pris aussi, maman, je veux dire, mais pas comme papa, bien sûr, ce ne serait pas possible, je le sais, faut pas me prendre pour un naze légume. Maintenant, papa le fait plus souvent, et c'est devenu tous les soirs avant le câlin du dodo, papa ou maman, ça dépend des fois, mais jamais les deux.</div><div align="left"></div><div align="left">Hier, j'ai pris le cap'tain Bill par les cheveux, les petits, tout derrière la nuque, puis j'ai tiré giga fort et il a crié, ça lui faisait mal, mais moi, ça me faisait plutôt du bien. Des fois, je le mords aussi, ou je lui arrache les bras. Il crie vraiment puissant fort, et moi ça me fait des choses. Mais je ne lui crève jamais les yeux, parce que ce serait très méchant et des fois il pourrait ne plus revenir même que ça me fait un peu peur ce qu'ils ont dit quand ils l'ont réparé pour la dernière fois.</div><div align="left"></div><div align="left">Ça brûle, le harissa. Mais maman dit qu'elle est obligée d'en mettre, sans ça, elle dit qu'elle ne sent rien à cause des milices et tout ça et la robe déchirée que même papa a rien dit vu que c'est son caractère et comme tout fout le camp.</div><div align="left"></div><div align="left">Quand j'ai essayé le harissa avec cap'tain Bill, c'était pas possible, parce que le cap'tain Bill, il est pas tout à fait vrai partout. Alors j'ai été faire un tour chez les poupées de papa. Elles, le harissa, elle connaissaient pas, le truc à papa, c'est plutôt l'huile et c'est normal, lui non plus, il n'aimerait pas le harissa, j'en suis sûr et certain même s'il n'en a jamais parlé, vu que de toutes façons il ne parle presque jamais et tout ça.</div><div align="left"></div><div align="left">Le truc, pour arriver jusqu'aux poupées, c'est de choisir le bon passe, faut pas que je prenne le mien, sinon je me fais jeter, mais avec celui de papa, pas de problèmes, faut juste pas qu'on remarque que je l'ai piqué, alors j'ai surfé quand il était pas là. Les poupées, le harissa, ça les a brûlées aussi, mais les poupées de papa sont vraiment giga nazes connes comme pas deux, on dirait des poupées pour nazes légumes profonds et en plus, elles sont même pas belles à cause de leurs trucs noirs et rouges et de leurs bottes pointues de partout. En plus les poupées de papa sont même pas intelligentes, parce que malgré que ça les brûlait puissant fort le harissa, on dirait même plus que moi, elles en voulaient encore et me faisaient des gestes pour réclamer à cause qu'elles pouvaient pas parler à cause des baillons et des masques. Je n'aime pas les poupées de papa, je crois que je préfère le cap'tain Bill, il est moins con, lui au moins, c'est pas comme les poupées nazes connes à papa qui font rien que de se secouer quand on les touche, et quand on lui fait mal, au cap'tain Bill, je veux dire, et qu'il crie, au moins, c'est pour de vrai et pas dans le casque.</div><div align="left"></div><div align="left">Hier, il y a une assistante qui est passée, la vieille, celle qui a des poils dans le nez et des grosses lunettes qu'on dirait des projecteurs et qui pue vraiment, et elle m'a demandé si tout allait bien, si ça allait les leçons sur la télécole, si j'étais content du cap'tain Bill, le genre de conneries habituelles qu'elle pose toujours, quoi. Moi, j'ai répondu tout va bien, rien de neuf docteur, alors elle a rigolé et s'est branchée avec ses trodes persos sur la borne du net pour interroger cap'tain Bill. Il ne lui dira jamais rien, cap'tain Bill, pour le harissa et l'huile. J'ai mis un verrou sur ses datas. Mais bon, la vieille, elle s'est rendu compte de quasirien, alors elle a vidé cap'tain Bill de ses datas pirates, ensuite elle s'est tirée sans attendre papa et maman et j'ai de nouveau été seul. Alors je suis parti surfer et torturer mon cap'tain Bill.</div><div align="left"></div><div align="left">L'huile, le harissa, je ne sais pas si c'est bien ou si c'est mal. Papa veut pas que j'en parle, et maman non plus. Le harissa, ça brûle, et puis l'huile, j'aime pas, après, je suis puissant sale dedans et dehors et même des fois quand il n'y en a pas assez ça fait mal aussi. Mais je ne dis rien, ils sont tous les deux si gentils après, on dirait même pas un papa et une maman de la réalité, on dirait un papa et une maman de la publicité. C'est pour ça que je ne dis rien, parce que alors je les aime tellement très fort, mon papa et ma maman.</div>Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-81697578886710059962007-12-24T19:17:00.007+01:002011-11-18T17:53:03.758+01:00Conte de Noël<div align="center"><br /><em>C'est le réveillon, ce soir, Luminalba. Je ne crois pas que cela signifie grand chose pour les licornes, mais pour les humains, c'est un temps de fête. C'est un temps de contes, aussi. Les contes de Noël finissent toujours mal, et sont porteurs de messages, c'est la tradition qui veut ça. Et s'ils ne comprennent pas, ils pourront demander à Lucie. Elle sait, elle, c'est même elle qui m'avait appris l'incident à l'origine de cette nouvelle. Alors, Luminalba, pour les humains qui nous lisent, et parce que je leur adresse mes meilleurs voeux de joie pour ce réveillon, je leur ai écrit ce petit conte. Joyeux Noël, le monde. Joyeux Noël.</em></div><div align="center"><em></em></div><div align="center"></div><em></em><div align="center"><em><br /></em><strong><span style="font-size:180%;">Fils du vent, voleur de poules</span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"> </span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"> </span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"> </span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"> </span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"></div><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;"></span></strong></div><div align="center"><em><br /><br />Cette nouvelle est parue dans l'anthologie "Identités" parue aux éditions Glyphe<br /></em></div>Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com5tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-44022302795686461752007-11-13T17:45:00.001+01:002007-11-13T17:59:38.767+01:00D'où les histoires viennent...<div align="left"><span style="font-family:arial;font-size:78%;"><em>Début d'une histoire... Premier jet, brut de décoffrage, tapé à la volée comme ça venait. Un jour, je la finirai. Quand j'aurai plus de temps.</em></span></div><br /><div align="center"><strong><span style="font-size:180%;">Valeur de sang, valeur de temps</span></strong></div><em></em><br />Il était une fois la fille de l'empereur de Chine, qui s'en allait en son équipage de par les chemins du monde, devisant de choses et d'autres avec son précepteur et sa servante. Il était cette même fois un pauvre paysan célibataire, sur le bord des routes du monde, qui y avait un champ, y cultivait des légumes et s'y trouvait pour retourner la terre avec ses moyens de pauvre paysan célibataire. Il faisait beau, et le soleil brillait ainsi qu'il en va quand des événements tels que ceux que je vais vous conter se produisent.<br /><br />Dans le carrosse, la fille de l'empereur discutait de la valeur des choses quand elle vit, courbé en deux, gris sur le brun clair de terre retournée, le pauvre paysan célibataire.<br /><br />- Ainsi donc, dis-tu, précepteur, sang a valeur de roi quand temps a valeur de paysan ?<br />- Il en est ainsi, sublime fille de l'empereur, c'est ainsi que vont les choses de par les chemins du monde. Sang pour les rois, parce le temps leur appartient, temps pour les paysans, puisque le sang leur appartient."<br /><br />La fille de l'empereur de Chine était têtue et n'aimait pas ne pas comprendre. Or, les paroles de son précepteur, pourtant emplies de sagesse selon ses dires, semblaient très obscures, un galimatias dans lequel elle comprenait les mots et leur arrangement, mais non leur sens réel.<br /><br />Aussi, elle fit arrêter le carrosse passé un tournant, pour que ne la reconnaisse pas pour ce qu'elle était le pauvre paysan célibataire, et en descendit. Empruntant les vêtements de sa servante, elle descendit et se changea dans un fourré, puis alla à la rencontre du pauvre paysan célibataire afin de connaître que pouvait être valeur, pour un paysan, et quelle était valeur, pour un fille d'empereur.<br /><br />- Bonjour, paysan. "<br /><br />Les yeux baissés, ce dernier ne répondit pas. Il avait, à la tenue de l'inconnue, reconnu une personne de haut rang, servante d'un noble personnage, et son rang ne lui permettait pas de l'importuner avec sa grossièreté. Mais, du reflet de sa houe, il vit les yeux de la fille de l'empereur de Chine, et son jugement en fut troublé ; car voici : elle avait de splendides yeux en amande ; clairs, et qui tranchaient sur la pâleur de son visage et la noirceur de sa chevelure. Et le paysan souffrait d'être célibataire. Aussi, au bout d'un moment, et voyant que la belle apparition ne s'en était pas allée, il répondit :<br /><br />- Bonjour, belle fille noble.<br />- Que fais-tu là, paysan ?<br />- De ma houe, je brise la terre et la retourne, afin qu'elle soit revivifiée par le soleil et porte à nouveau, l'an prochain et en abondance, les légumes que je vais y semer.<br />- Un an ? C'est long, paysan, pour pouvoir manger à nouveau. "<br /><br />Grattant sa terre, le pauvre paysan célibataire ne répondit pas. C'était ainsi qu'allaient les choses, pour lui. Une année pour préparer la terre, une année pour faire pousser et récolter, et une année pour s'en nourrir. Il en allait ainsi, et ce n'était pas la peine, à ses yeux, d'en dire plus.<br /><br />- Montre-moi, paysan, comment tu agis, et laisse-moi agir de même.<br />- Montrez-moi vos mains, belle fille noble. "<br /><br />Elle fit ce qu'il lui demanda, et lui, émerveillé, contemplant les longs doigts fins et blancs, la peau fine et délicate sous laquelle battaient des veines bien rouges, soupira d'aise, les yeux ravis par cette merveilleuse vision.<br /><br />- Je ne le peux, belle fille noble. Vos mains seraient abîmées par ce travail, et ce serait grossier de ma part de gâcher leur beauté. Regardez mes mains et comprenez. "<br /><br />Il lui montra ses mains, de rudes mains de pauvre paysan célibataire, emplies de cals et de corne, aux rides emplies de terre, aux ongles courts et cassés.<br /><br />- Voici mes mains, belle fille noble. Voici ce que de retourner la terre en a fait. Ne me demandez pas d'infliger un traitement identique aux deux colombes que sont vois mains.<br />- Ah, il suffit. Quand j'ordonne, tu dois obéir. Montre-moi, je veux savoir. "<br /><br />Alors, la mort dans l'âme, le pauvre paysan célibataire prit sa houe, la plaça dans les mains de la fille de l'empereur de Chine, et, se plaçant dans son dos, lui saisit les bras au niveau des coudes et les leva.<br /><br />- Il est lourd, ton instrument, paysan.<br />- Je ne le trouve pas lourd, puisque c'est grâce à lui que je me nourris. Mais je comprends qu'il en aille ainsi pour vous.<br />- Et ensuite, quand l'instrument est levé, que fais-tu ?<br />- Voici, j'en abats le tranchant sur le sol, et pousse le manche pour que se soulève la terre. "<br /><br />Et ainsi, dans la douce journée ensoleillée sur les bords des chemins du monde, le paysan apprenait à la fille de l'empereur de Chine comment sarcler et retourner la terre, abîmant ses mains douces et fines sur le bois grossier de sa houe, lui prenant la taille pour mieux lui montrer comment ne pas se fatiguer trop vite, enivré malgré lui par son parfum précieux de fille de l'empereur de Chine ; et quand ses mains rudes et grossières de pauvre paysan célibataire frôlaient les douces colombes qu'étaient les mains de la fille de l'empereur de Chine, il en était à chaque fois bouleversé.<br /><br />- C'est douloureux, paysan, dans mes mains.<br />- Montrez-moi, belle fille noble. "<br /><br />Elle étendit ses mains ainsi que les plumes de la roue d'un paon, et il vit au beau milieu d'icelles, perle rubis sur la neige de sa peau immaculée, une goutte de sang.<br /><br />- Il suffit, à présent, belle fille noble. A quoi bon gâcher encore la douceur et la blancheur de vos paumes sur le bois de la houe ? La vie de pauvre paysan célibataire n'est pas pour vous, et vous en avez appris assez pour aujourd'hui. "<br /><br />Elle le regarda, et dans sa figure, elle vit un soleil qui brillait bien plus chaud que le soleil de son précepteur. Mais il commençait à se faire tard, et elle vit, brillant au loin et se rapprochant, les armures des soldats du roi, qui s'inquiétaient de ne plus la voir et avaient quitté l'équipage.<br /><br />Aussi, plaquant très rapidement un baiser léger comme une plume sur la joue du pauvre paysan célibataire, elle le quitta et s'en retourna vers le carrosse au-delà du tournant de la route, serrant au creux de sa main une goutte de sang. Elle fit signe aux soldats d'attendre, et se changea dans les fourrés, avant de regagner le véhicule, cependant que le pauvre paysan célibataire continuait de retourner la terre pour la vivifier dans le soir qui s'en venait.<br /><br />Le temps passa, la perle de rubis au creux de la main de la fille de l'empereur de Chine sécha et s'envola, ne laissant qu'une petite trace blanche et fine en souvenir de ce qu'elle avait manié la houe, ce jour-là, sur les bords des chemins du monde.<br /><br />A quelques temps de là, à la veille des célébrations de l'an neuf, l'empereur de Chine fit convoquer sa fille dans la grande salle couverte de nacre et lui parla, alors qu'il était assis dans son trône en écailles de dragon, savourant un thé dans lequel il faisait tourner une petite cuillère de vermeil.<br /><br />- Ma fille, tu vas bientôt être en âge de te marier ; il me faut te choisir un époux. Mais tu sais que je t'aime, et je ne veux pas en choisir un qui n'ait pas ta convenance. Aussi, dis-moi : y en a-t-il un qui ait ta préférence ?<br />- Je ne le sais pas, père, je n'en ai pour l'heure trouvé aucun qui me convienne tout à fait. Ton vizir est fort sage, mais il a au fond de l'œil comme une lueur mauvaise et qui me fait peur, quand il me regarde et ne sait pas que je l'observe. Concernant ton chambellan, je ne sais ce qu'il pense vraiment, tant il excelle à cacher ses pensées. Si le capitaine de ta garde est fort bien fait, il ne sait parler que de sang et d'honneur. Quant à nos voisins, ils sont tous fort âgés et je ne goûte guère aux plaisirs qu'ils affectionnent. Je ne sais, père, lequel prendre...<br />- Il ne presse pas trop que tu arrêtes ton choix, ma fille adorée, mais le royaume ne saurait trop attendre. Aussi, je te laisse une année pour ce faire. L'an prochain, lors des célébrations de l'an neuf, tu annonceras ton choix à ma cour. "<br /><br />Ainsi fut proclamé, avant que les fusées de l'an neuf n'illumine le ciel et que les pétards chassent les mauvais esprits, de par les routes du monde, la nouvelle que l'an prochain la fille de l'empereur prendrait un époux.<br /><br />Une année passa. A la cour de l'empereur de Chine, tous complotaient pour obtenir les faveurs de la fille de l'empereur, mais cette dernière à tous se refusait. Tel était trop ceci, tel autre trop cela, et aucun ne lui convenait. Le grand vizir, qui de tous était le plus empressé, fit appel à un magicien, qui amena dans une pièce secrète de nombreux appareils étranges qui zonzonnaient, crépitaient et bruissaient étrangement, avec sur leur face des cadrans qui tournaient en tous sens et affichaient des valeurs sans cesse changeantes.<br /><br />Dans son champ, au bord des routes du monde, le pauvre paysan célibataire avait semé et, parce qu'il avait l'amour des plantes qui poussent et savait y faire pour vivifier la terre, ses légumes poussèrent en abondance. Il les emmena au marché, mais ils avaient tant et tant poussé qu'il ne put tous les vendre, et se retrouva néanmoins en possession d'une belle somme d'argent pour un pauvre paysan célibataire. Il mit des choux en jarre pour les faire fermenter, il mit des courgettes, des aubergines et d'autres plantes encore en bocaux pour l'hiver, récolta et fit sécher son riz et ses autres céréales, prépara et ainsi fit des provisions pour toute l'année à venir. Contemplant, dans le cellier, toutes ses provisions, il en était content, et remercia les dieux ainsi qu'il se devait. Il pensait parfois à cette belle fille noble dont il avait fait couler le sang, et, étrangement, cette pensée ne lui faisait pas peur. Quand virent les temps des célébrations de l'an neuf, il s'en alla à la grande ville pour y assister aux festivités.<br /><br />La fille de l'empereur de Chine n'avait pas arrêté son choix, et ne savait que faire pour annoncer la nouvelle à son père. Reculant le moment, elle se taisait. Quand vint le moment des festivités, elle monta dans son carrosse et parcourut les rues de la grande ville, cachée derrière les rideaux et observant la foule qui se pressait, étourdie du bruit des pétards qui éclataient de toutes parts, enivrée de joie et de ferveur. Au sein de cette foule, le pauvre paysan célibataire regardait passer le somptueux équipage et se souvenait des mains comme des colombes de la jeune fille noble, de la douceur de sa taille quand il l'avait prise pour lui montrer comment manier la houe, et de l'éclat, sauvage et imprévisible, étincelle de bonheur, de ses lèvres sur sa joue quand elle l'avait embrassée. Mais un paysan ne saurait convoiter une jeune fille noble, et il tentait de se résigner.<br /><br />- Tu es célibataire certes, mon ami, mais tu es aussi pauvre et paysan. N'espère pas contempler tous les jours de ta vie ce qui ne fut qu'un rêve, contente-toi de ton statut et cherche plutôt, en ce jour de liesse, une compagne qui te soit accessible. "<br /><br />Voici ce qu'il se disait alors que, les yeux pleins d'étoiles, il contemplait le passage de l'équipage somptueux de la fille de l'empereur de Chine. Mais les hommes sont ainsi faits que jamais tout à fait ils ne renoncent à leurs rêves, et il suivit le cortège jusqu'aux grilles du grand palais.Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-53266152110220862802007-06-20T14:11:00.000+02:002007-06-20T14:14:15.916+02:00<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiMFbWx_eeT5cFQ0VKNa_wVDwWnXXxNW8nRNhQd4CJaBWMShJUHtwyPXVyhbp0j6ab0hXsEJqkiM-nOKo6NNInN_tyXR7dHAJoEOM-bMHwstv0Bz9zoQMb7BKkEkuz4Lr-YwpWMUw/s1600-h/Lotus3.jpg"><img id="BLOGGER_PHOTO_ID_5078118699223117122" style="DISPLAY: block; MARGIN: 0px auto 10px; CURSOR: hand; TEXT-ALIGN: center" alt="" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiMFbWx_eeT5cFQ0VKNa_wVDwWnXXxNW8nRNhQd4CJaBWMShJUHtwyPXVyhbp0j6ab0hXsEJqkiM-nOKo6NNInN_tyXR7dHAJoEOM-bMHwstv0Bz9zoQMb7BKkEkuz4Lr-YwpWMUw/s400/Lotus3.jpg" border="0" /></a><br /><div><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhGUcyfSFE_dBtC6H6MbXVK_l4fx56iTcNoic8dPUO0LL_kHIkWuPfPS9500hWWxz0Rz1vbTeUPXenkt5DSQlvJ3iXiEj1kbOjjfnRBZc3HjiYOTsCGlfMd6tnhDi_uHHE-1wDyUA/s1600-h/Portrait+de+famille.jpg"><img id="BLOGGER_PHOTO_ID_5078118316971027762" style="DISPLAY: block; MARGIN: 0px auto 10px; CURSOR: hand; TEXT-ALIGN: center" alt="" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhGUcyfSFE_dBtC6H6MbXVK_l4fx56iTcNoic8dPUO0LL_kHIkWuPfPS9500hWWxz0Rz1vbTeUPXenkt5DSQlvJ3iXiEj1kbOjjfnRBZc3HjiYOTsCGlfMd6tnhDi_uHHE-1wDyUA/s400/Portrait+de+famille.jpg" border="0" /></a><br /><br /><div></div></div>Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-82963999803237070962007-05-10T11:58:00.001+02:002011-12-14T14:52:04.731+01:00Elisabeth<div style="text-align: center;"><span style="font-style: italic;">Cette nouvelle paraîtrai prochainement aux éditions Asteroide, pour liseuses électroniques.</span><br /></div>Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-54500096416008183592007-04-06T14:00:00.000+02:002007-04-06T14:06:35.729+02:00Ici et maintenant<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi8W_mUtm2DmYx5u79AcYwb-amksuHF10xx1-QLbfs4EV9fWeGe9-XHVw3I9WnWZwUY_3eJBADwppkSyXuTIMl3WfUwDprlqmlkwA4LprdktrCOvL9a3_bBYdVeZYqXJuclehe6rw/s1600-h/Bella.jpg"><img id="BLOGGER_PHOTO_ID_5050285211612600386" style="DISPLAY: block; MARGIN: 0px auto 10px; CURSOR: hand; TEXT-ALIGN: center" alt="" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi8W_mUtm2DmYx5u79AcYwb-amksuHF10xx1-QLbfs4EV9fWeGe9-XHVw3I9WnWZwUY_3eJBADwppkSyXuTIMl3WfUwDprlqmlkwA4LprdktrCOvL9a3_bBYdVeZYqXJuclehe6rw/s400/Bella.jpg" border="0" /></a><br /><div align="center">Me revoilà, ma licorne, ma Luminalba. Je me suis tu, je le sais bien.</div><br /><div align="center">Mais ce silence m'était nécessaire.</div><br /><div align="center">Il était beau, du moins je le crois.</div><br /><div align="center"></div><br /><div>Et tu es restée belle, aussi, dans mes rêves.</div><br /><div></div><br /><div>J'ai reçu ce matin au courrier un colis qui contenait les services presse de (Pro)Créations.</div><br /><div></div><br /><div>Je ne pouvais pas mettre ici la nouvelle de ma plume qui y figure.</div><br /><div></div><br /><div>Alors je t'offre, en compensation, Bella Bartok, perchée sur un pommier dans le verger.</div><br /><div></div><br /><div>Je reviendrai bientôt, ma douce muse. Tu me connais, n'est-ce-pas, tu sais comment je suis, et tu me pardonneras mes absences.</div><div> </div><div>A bientôt</div>Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-1139073652808289642006-02-04T18:15:00.002+01:002011-11-18T17:54:20.903+01:00... et nos peurs,si prochesTu sais, Luminalba, je pense toujours à toi. Je te sais proche, présente en moi, et je rêve...<br />Alors, parce que les poissons-chats se nourrissent de tout ce qui tombe dans ma mare, voici, Luminalba, quelques images de mes peurs du futur.<br /><br /><div align="center"><br /><br /><strong><span style="font-size:130%;">Leboeuf se paye une toile<br /><br /></span></strong></div><div align="center"><strong><span style="font-size:130%;"></span></strong> </div><div align="center"><strong><span style="font-size:130%;"></span></strong> </div><div align="center"><strong><span style="font-size:130%;"></span></strong> </div><div align="center"><em>Cette nouvelle est parue dans le recueil "Sanshôdo" paru aux éditions Ad Astra<br /></em></div>Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-1138107075883421832006-01-24T13:43:00.001+01:002008-09-07T11:05:27.992+02:00La vie, la mort, le temps, nous peut-être...Souvent, du fond de ma mare, si froide en cette saison, me parviennent d'étanges échos. Est-ce mon coeur qui parle alors, est-ce mon âme qui tente de retrouver le chemin de ma mémoire ?<br />Tout homme, peut-être, est un loup qui rêve... Voici, Luminalba, comment s'en allèrent les loups d'ici.<br /><br /><div align="center"><br /><strong><span style="font-size:130%;">La dernière chasse</span></strong></div><br /><div align="center"><br /><em>Cette nouvelle, remaniée, paraîtra prochainement sur un support papier.</em></div>Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-1137359561788099432006-01-15T22:09:00.001+01:002011-12-14T14:54:27.308+01:00De songes et de bulles d'air au creux de l'hiver<span style="font-family:arial;">Tourne le poisson-chat au fond de sa mare, cherchant à discerner, par delà la glace qui l'emprisonne, les ombres des licornes...</span><br /><span style="font-family:arial;"></span><br /><div align="center"><br /><strong><span style="font-family:arial;font-size:130%;"><em>Conte de la forêt qu’on désertée les licornes</em></span></strong></div><div align="justify"><span style="font-family:arial;"><em></em></span></div><span style="font-family:arial;"><span style="font-style: italic;"><br /></span></span><div style="text-align: center;"><span style="font-family:arial;"><span style="font-style: italic;">Cette nouvelle paraîtra prochainement aux éditions Asteroide, pour liseuses électroniques</span></span><br /><span style="font-family:arial;"><span style="font-style: italic;"></span></span></div><span style="font-family:arial;"><div align="justify"><span style="font-family:arial;"></span></div></span>Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-1131546606530543722005-11-09T15:26:00.000+01:002006-01-10T10:43:45.706+01:00Muddy Waters, de nouveau<div align="center"><strong><span style="font-family:arial;">You Can't Lose What You Ain't Never Had</span></strong></div><br /><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;">Had a sweet little girl, I lose my baby, boy ain't that bad</span></div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;">Had a sweet little girl, I lose my baby, boy ain't that bad</span></div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;">You can't spend what you ain't got,you can't lose some little girl you ain't never had</span></div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;"></span> </div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;">Had money in the bank, I got busted, people ain't that bad</span></div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;">Had money in the bank, I got busted, people ain't that bad</span></div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;">You can't spend what you ain't got, you can't lose some little girl you ain't never had</span></div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;">Ain't that the truth boys</span></div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;"></span> </div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;">Had a sweet little home, it got burned down, people ain't that bad</span></div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;">My own fault, people ain't that bad</span></div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;">Well you know you can't spend what you ain't got,you can't lose some blues you ain't never had</span></div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;">Have mercy!</span></div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;"></span> </div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;">Sweet little home, got burned down, people ain't that bad</span></div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;">Yeah you know I had a sweet little home, it got burned down, people ain't that bad</span></div><div align="center"><span style="font-family:arial;color:#006600;">Whoa you know you can't spend what you ain't got,you can't lose some little girl you ain't never had</span></div>Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-1131538065637364022005-11-09T13:05:00.000+01:002005-11-09T13:07:45.656+01:00EtouffementIl n'y a plus d'eau dans la mare du poisson-chat, juste de la boue sur laquelle je tressaute encore quelques instants, attendant je ne sais quoi, guettant je ne sais plus qui.<br />Et ce silence, qui rugit dans mon crâne, et ces mots, tant espérés et qui manquent à l'appel. Quelque chose est en train de mourir, et combien cela est douloureux.Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-1129633465902157712005-10-18T12:59:00.000+02:002005-10-18T13:04:25.913+02:00Dangereuse pleine luneTu sais, il ne faut pas regarder l'astre de nuit dans les yeux, quand il est plein. C'est ainsi que l'on se brûle les yeux. C'est ainsi que, poisson-chat faisant des bulles au fond de la vase, on se prend pour un seigneur de la forêt, que l'on sort de son trou, et que, brutalement, on suffoque...<br /><br />Il y en a eu, du sel, dans la mare, aujourd'hui. Mais mes yeux se sèchent doucement.<br /><br />Un cicatrice de plus dans les poumons. La Lune est dangereuse quand elle est pleine. Elle te fait croire qu'il fait jour, que tout est possible. Et puis, brutalement, tu réalises qu'il fait nuit, que les feux-follets que tu voyais danser ne sont pas des rêves potentiels, mais simplement des feux-follets, des gaz de décomposition qui spontanément s'enflamment.<br /><br />Il ne pleut pas aujourd'hui. J'ai tellement besoin de pluie, cependant...Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-1122154454419885922005-07-23T23:10:00.000+02:002005-07-23T23:34:14.426+02:00Autour de la lune, de nombreuses étoilesCela faisait longtemps, n'est-ce pas ?<br />T'ais-je manqué ? Je ne crois pas. Les choses vont et viennent, les gens ne sont sont, à tout prendre, que des épiphénomènes,de l'écume à la surface des choses, volant dans le vent nocturne, leurs traces s'éffaçant au gré des rythmes de la vie. Désolé d'avoir gardé le silence. Mais, quand on manque d'air, on l'économise, bouffée après bouffée, on évite de parler pour ne pas rompre le silence de l'immuable, de ce qui nous dépasse, de ce qui est au-delà de nous.<br /><br />Tu m'a manqué, mon âme... Tant et tant que je suis sec, feuille morte ballotée à la brise chaude ; quelques arêtes au fond de l'eau qui lentement se décomposent dans la mare, près de la fontaine.<br /><br />Et j'ai bu, pourtant,à cette fontaine. Trop, peut-être...<br /><br />Mais il y a la pleine lune. Il y a ces étoiles, tout autour, ces étincelles éclairant la nuit, et je tourne et retourne au fond, si près de la vase. Mais il y a cet espoir mais il y a ces souvenirs de choses jamais encore advenues, ce souvenir factice de te savoir si proche...<br /><br />Il y a, je le sais, l'eau entre nous, qui fait que je ne puis te rejoindre, l'eau qui me fait respirer et me maintient...<br />L'eau qui coule de tes yeux, l'eau qui coule des miens.<br />Sel et eau... Bretagne, Brocéliande...<br /><br />Et le fer...<br /><br /><br />Bientôt je reviendrai, Luminalba, Ma licorne... Bientôt.<br /><br />Porte-toi bien, il Me faut encore un peu d'oxygène avant de pouvoir à nouveau te parler.<br /><br />A bientôt, le mondeJean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-1116788008116883842005-05-22T20:33:00.001+02:002008-08-01T11:25:11.804+02:00Nos vies entre nos mains réunies<div align="center"><em>Ce texte a été réservé et paraîtra prochainement sur support papier.</em></div>Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-1116618075613944952005-05-20T21:24:00.000+02:002005-05-20T21:43:28.966+02:00Poussière dans le vent, promesses non tenuesParfois, ça me prend, comme une antique douleur, des pixels égarés sur un CD, des yeux immenses qui se tournent vers moi, interrogatifs, depuis le passé...<br /><br />Le Chuch a été castré hier. Cela n'a pas l'air de beaucoup le gêner, et ses miaulements ne sont pas interogatifs, il sait, lui la valeur des choses qui restent. David a eu son permis de conduire.<br /><br />Et moi, je me sens vieux, tout d'un coup. Hier encore des larmes brûlantes dans le vent, hier encore des douleurs qui me disaient que j'existe. Mais est venue la poussière, mais sont venus les vents du temps, souffler leur haleine sèche sur mes yeux trop ouverts.<br /><br />Synchronicité et ses échos... Luminalba, silhouette floue qui semble s'éloigner à mesure que j'avance dans le temps. Tout ce que j'ai fait, dans ma vraie vie, est-ce que cela a plus de poids que les bulles d'un poisson-chat ?<br /><br />Le CD gratte comme un vinyle... Février 1950, Chicago, la ville des vents :<br /><br /><em>I went to my baby aww... And I stand on aww, on her stair... She said come on in, muddy...</em><br /><em></em><br />Le rythme est toujours le même, simplissme, les accords de guitare sèche minimalistes, mais la musique me hante. Peut-être est-il temps de quitter la mare, peut-être est-il temps de laisser galoper les chevaux loin d'ici...<br /><br />Rends-moi mes ailes, Luminalba, j'ai tant besoin de voir le monde d'en haut, tant besoin de me sentir vivant, tant besoin de lumière... S'il te plaît, blanche licorne, s'il te plaît, muse impalpable et immatérielle, s'il te plaît, mon rêve de beauté... Fais-moi m'envoler, une fois encore, ouvre la porte de mes rêves, juste une fois...<br /><br />Les temps du printemps parfois sont si noirs, si secs, si pleins de poussière. Mes yeux me brûlent, et dans l'eau les parfums se noient.<br /><br />Respirer, l'espace d'un instant, le parfum de ta chevelure. Et laisser le vent emporter la poussière... M'emporter ailleurs, vers l'arche de lumière...<br /><br />Il ne sourit guère, le poisson-chat. Il est vieux. Excuse-le, Luminalba... Excuse-le, il a bu trop d'eau croupie, il a trop usé ses yeux à regarder l'intérieur de son crâne. Demain, il ira mieux, peut-être.Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-1114637522205073172005-04-27T22:49:00.000+02:002005-04-27T23:43:16.553+02:00Du coin de l'oeil, des baies de morelle noire et un chat blancJe ne suis jamais très loin, tu sais...<br /><br />Je me cache au fond de l'eau, dans les remous de la vase, et l'on m'oublie souvent. Avec le temps, va, tout s'en va, faut croire.<br /><br />Que te dire ? Des excuses ? Il y en aura toujours, et ce ne seront jamais que des circonstances, au minimum, atténuantes. Le temps, on en fait ce qu'on veut, après tout. Il va, il vient, il nous appartient tellement qu'on oublie d'en tenir compte.<br /><br />Alors voilà, je vais te dire une très vieille histoire.<br /><br />Cela se passe il y a longtemps, dans une vie d'homme, il y a quarante ans. Un petit garçon, blond au yeux bleus, et sa soeur dans la cour d'une maison, dans un petit village plein de géraniums au fenêtres en été. Je me souviens qu'il y avait un magasin, une quincaillerie, je crois, dans ce village, et que ce magasin s'appelait Trescher. Je ne savais pas lire, mais je déchiffrais déjà les lettres. Plus tard, j'en ai beaucoup ri.<br /><br />Il y avait de la morelle noire, dans la cour, qui poussait dans un coin vaguement herbeux. On ne sait rien à cinq ans. La fille n'avait que six ans, elle ne savait rien non plus.<br />"Oh, des myrtilles, mange, c'est bon, les myrtilles, maman aime tellement ça..."<br />C'est vrai que c'est délicieux, les myrtilles, même si je n'en avais jamais mangé ; ma mère nous avait dit, émue, comment elle les ramassait, ironie de l'histoire, ici même en Brocéliande, quand elle était étudiante à Rennes.<br /><br />Alors les sirènes, l'hôpital, les murs peints en vert luisant, les néons tranchants de lumière, le tuyau enfoncé de force dans la gorge, et l'eau qui coule, et la cuvette, verte, qui se remplit. Et la douleur au fond de la gorge, la panique de ceux qui jamais ne paniquent puisqu'ils sont les piliers du monde, mes parents, la honte de vomir en public, les terribles crampes de l'estomac malmené.<br /><br />Et l'incompréhension, la peur de mourir, à 5 ans...<br /><br />Les monstres, dans mon enfance, me terrifiaient moins que les humains.<br /><br />J'ai été puni pour avoir mangé du poison. Ma soeur a été félicitée pour avoir donné l'alerte. Elle aussi en avait mangé, mais elle l'a nié, et on l'a crue, même quand, pour essayer d'empêcher qu'elle meure de ce poison, je l'ai dit. On n'a pas lavé son estomac. Je n'ai plus rien compris. Alors j'ai réfléchi.<br /><br />Tout ne passe pas, avec le temps. Il est des accidents qui marquent les organes vitaux à vie.<br /><br />Longtemps, j'ai souffert de crises de foie. Il y avait le lit que je ne quittais pas durant une ou deux semaines. Il y avait la bassine juste à côté, qui peu à peu se remplissait, de plus en plus liquide, jaune. Il y avait les douleurs, les incessantes douleurs qui mettent en nage et font tourner la tête, qui réveillaient en plein milieu de la nuit et faisaient hurler de rage.<br /><br />Mon corps a fini par signer la paix avec mon foie.<br />Ma tête n'a jamais pu s'y résigner.<br /><br />Crise de foi, perte de foi en l'humain, aux dieux qu'il crée. Ca, plus quelques écorchures, plus la haine aux basques comme moyen de survie. Mais on survit, n'est-ce pas ? On survit toujours. Même quand, à l'âge de cinq ans, on efface le monde. Il n'y a pas d'âge pour devenir solipsiste.<br /><br />Juste comme ça, on survit et on avance, un pas après l'autre.<br /><br />Une bouffée d'eau au fond de la vase, un frétillement de la queue, et on finit par remonter vers la lumière. Non parce que c'est vital, mais simplement comme ça, un peu par curiosité, beaucoup par habitude.<br /><br />C'est mon plus ancien souvenir, Luminalba. Je l'avais oublié, perdu de vue, la vie me l'a rendu, mais je n'en veux plus. En veux-tu, toi, de ce gros paquet de vase qui remonte en tourbillonnant du plus profond du lit de la rivière ? Je ne veux pas te l'offrir, c'est un cadeau empoisonné. De la morelle noire. Une plante qui pousse à côté de la fumeterre, sur le même genre de terrain, un peu poussiéreux, très sale, très vague.<br /><br />Ton reflet me manque, licorne, le reflet de ta magie guérisseuse, l'éclat des lunes sur la nacre de ta corne. L'espoir aussi, le rêve, tout ce qui gomme l'habitude. Tu es tout cela, Luminalba, blanche lumière. Alors je te convoque à nouveau, mes entrailles à l'air pour l'extase de te savoir vivante.<br /><br />Mais la vie, n'est-ce pas ? Et le temps que l'on passe penché sur ses blessures, comme disait ma soeur licorne, à gratter la croûte pour voir si ça saigne toujours, pour voir si l'on existe ou si l'on n'est qu'un rêve.<br /><br />Un poisson chat, ce n'est qu'un songe qu'on oublie, une image fugace, entrevue et déjà disparue.<br /><br />Un éclat de couleur au coin de l'oeil et rien de plus.<br /><br />Bonne nuit, ma forêt, bonne nuit, le petit Peuple. Le Chuch, qui a tellement grandi, miaule pour sortir affronter le renard qui maraude aux abords du poulailler. Blanc dans la nuit, proie trop aisée pour le hibou grand duc qui hulule le soir au bord de l'étang du Pas du Houx. Désolé, le Chuch. Ta nuit sera avec moi, tu le sais et tu ronronnes déjà.<br /><br />Bonne nuit, les licornes. Bientôt, je vous reviendrai. Mais l'heure est au léchage de plaies, et mes larmes dans l'eau perdent leur saveur. Il n'est de silence éternel en Brocéliande, puisque même la mort y ouvre ses portes, à une date pas très éloignée de mon anniversaire.<br /><br />Bonne nuit, le monde. Le Chuch lèche, de sa langue râpeuse, le bout de ton nez, ainsi qu'il a coutume de me faire. Il est comme ça, le Chuch. Il nettoie, même si ça fait mal. C'est sa façon de dire son amour. Il est blanc comme une licorne.Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-10168165.post-1110890187573526862005-03-15T13:24:00.000+01:002005-03-15T13:36:27.576+01:00PrintempsAinsi s'en vint le printemps, à la faveur d'un rayon de soleil chauffant doucement les bourgeons des arbres fruitiers qui bientôt seront en fleurs...<br /><br />Dans la mare tourne toujours le poisson-chat, sans trêve car c'est sa nature. Une ombre de loup s'est profilée à la surface ; excuse-moi du retard, Luminalba, douce licorne, excuse les mots qui pas encore n'ont franchi la barrière de mon esprit. Mais l'ombre du loup m'a bloqué, a empli mon âme, et il fallait que jaillisse ce cri pour que je puisse m'en retourner vers toi.<br /><br />Mais voilà, le loup s'en est allé, hier j'ai taillé les branches mortes aux troncs des arbres et dorénavant je peux rire et chanter, libre enfin.<br /><br />Car voici, c'est que le printemps est là, c'est que chantent les oiseaux aux alentours de la longère, c'est que le Chuch fait le fou en jouant avec les chiennes en se prenant pour le maître des lieux, c'est que les poules rousses, se regorgeant, grosses commères austères, font bouffer leurs plumes d'un air pincé en s'indignant de ce qu'elles ne puissent quitter leur basse-cour, jeunes et tendres pousses de salade obligent.<br /><br />C'est le printemps, Luminalba, le temps de la lumière, le temps où danser sur les champignons en compagnie du Petit Peuple, le temps où s'émerveiller de la floraison des digitales dans les fossés, le temps des crocus jaunes qui éclaboussent de soleil le vert cru et flamboyant, presque fluo, de la pelouse.<br /><br />C'est le temps où bientôt, très bientôt, je continuerai ton histoire.<br /><br />Bonjour, le monde, il fait soleil en Brocéliande, aujourd'hui, et c'est un jour magnifique pour rire et danser.Jean Millemannhttp://www.blogger.com/profile/03457066867554180625noreply@blogger.com0