mardi 22 février 2005

Le temps

Ces mots-là ne sont pas de moi ; peut-être les as-tu déjà entendus, je les ai volés à un cadavre oublié, dont le crâne n'est plus couvert par une mousse neigeuse de pensées anarchistes. Car c'est toujours l'hiver, ici, le temps du sommeil, le temps des souvenirs. Je me souviens comme tu disais que tu ne pouvais pas travailler en ma présence ; je me souviens comme, sous une identité d'emprunt, j'avais été le vérifier, et j'en avais été ému ; mais avec le temps, même les plus chouettes souvenirs, ça t'a une de ces gueules à la galerie j'farfouille dans les rayons de la mort, le samedi soir quand la tendresse s'en va toute seule.

Avec le temps, va, tout va bien...

Tu t'es faite invisible, tu t'es faite présence fantômatique, reflet d'écume sur la mer des souvenirs embellis par la nostalgie. Et l'on se sent tout seul peut-être mais peinard, et l'on se sent floué par les années perdues...

Alors, probablement, avec le temps, tu ne m'aimes plus, si tu m'as jamais aimé ; le coeur, quand ça bat plus, c'est pas la peine d'aller chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien.

Combien de licornes venues boire dans la mare où je planque les souvenirs, tout au fond, sous la vase ? Tant et tant, tant de temps passé, et seul un reflet pour savoir que je n'ai pas rêvé tout seul. Combien de licornes, combien de cornes plongeant dans l'onde, quand seul un reflet encore me murmure la tendresse chérie des souvenirs qui se délitent ?

Luminalba, oh ma blanche lumière de licorne, mon plus beau souvenir, mes plus belles gouttes salées, rouges ou transparentes, Goethe mourant appelait pour plus de lumière, mais je ne suis pas allemand ...

Mais peut-être n'est-il plus temps de passer les heures à écouter Léo, peut-être que la poussière finira par m'empêcher de respirer ; sur le CD, j'ai gravé Cow-boy Junky qui chante : Won't you share a common disaster ? Share with me a common disaster ? A common distaster...

Les mots filent entre mes doigts comme du sable, comme le temps, et je ne sais que t'écrire, comment ramener de la vase les sourires que tu m'offrais comme poussaient les roses, éblouissantes et vite passées, comme un flash de lumière qui figerait le temps. Ou encore, ces moments où sous ton mépris apparent, je sentais poindre la douleur que je t'avais infligée.

Il est une autre chanson, sur ce CD, de Nick Cave, qui elle aussi a le pouvoir de soulever la poussière pour en faire les colonnes sur lesquels je bâtis, à l'aide de lettres, le temple où t'abriter : What they say here is true, then we'll meet again, me and you".

L'eau a gelé dehors, dans les flaques, et je m'asphyxie dans ma tête, je manque d'air... Offre-moi ton souffle, offre-moi tes lèvres, et respirons ensemble.
This prayer is for you, my love, sent on the wings of a dove, an idiot prayer of empty words...
Piano et violon, ligne de basse, puis silence... Ne me laisse pas étouffer au fond de la mare, j'ai besoin de printemps et d'arbres feuillus, de chants d'oiseaux et de digitales au fond des fossés, de rires et de joies, de sabots résonnant sur la terre qui sonne comme un tambour, de mouvement et d'élan ; mais pour toi, je râpe ma peau à l'écorce des souvenirs, je puise à l'encre des remords et de la tristesse, de ce qui fut et ne sera plus, de ce qui aurait pu être et ne sera pas, de tout ce que je sais de toi et de tout ce que j'ignore encore.

A bientôt, Luminalba, à bientôt, les licornes, à bientôt, le monde... Le printemps viendra. Forcément. Un jour ou l'autre.

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