jeudi 30 octobre 2008

Brumes de nuit en phase d'évaporation

Me voici à nouveau, Luminalba, présent devant toi. Je sais que, concernant de nombreux textes, ils sont nombreux à m'attendre, il y a Lucie, il y a Ned, il y aussi ce fan-club qui s'est créé. Mais parfois, le besoin d'écriture ne s'accomode pas de chemins nécessaires et prend des voies de traverses, nourri par les liens hors des textes, ceux de la vie où vivent de vraies personnes. On ne maîtrise pas toujours son inspiration. Alors, pour ceux qui avaient aimé la princesse et le paysan, voici une variation locale de ce compte. A bientôt, les gens, portez-vous bien, et n'oubliez jamais de chanter.

Marguerite blanche biche


Selon une très vielle légende,

En hommage à Charles Quimbert et à tous les collecteurs des souvenirs qui s’effacent.
La nuit particulière de cette année -là, le vent s’est éteint, avec un dernier chuchotis murmuré dans le friselis de l’eau du lac. L’automne roussissait les fougères et rougissait les feuilles des arbres. Sur l’eau immobile s’est dessiné, tremblotant, le reflet de la lune pleine et de son halo d’argent. Une chouette est passée, silencieuse, dessinant de son vol léger une fragile strie, noire et fugace, sur le tapis d’étoiles de la nuit. Un grand frisson a parcouru les berges du lac du château de Comper, quand dans le monde caché gémirent, pour la première fois de tous les temps, les voix des pleureuses.
Sous l’onde, tout dormait. Dans le palais de cristal de dame Viviane, que seul savent discerner ceux qui accrochent des étoiles dans les irisations de leurs pupilles, rien ne bougeait, les portes étaient closes. Les algues ondulaient paresseusement dans le léger courant et l’on aurait presque pu se croire emprisonné dans un verre épais. La proximité entre le monde du petit peuple et celui des humains se faisait évidente, et ses frontières fragiles ; car des ponts parfois naissent spontanément, en de telles nuits, quand une feuille, en cercles lents, choit du firmament et fait croître, sur la surface du lac, des cercles concentriques qui lentement s’éloignent et s’évanouissent au lointain.
Viviane avait parmi ses suivantes une dénommée Marguerite, fille des forêts qui l’avait suivie dans son palais. Et quand les soirs de pleine lune résonnait l’appel du cerf sous les ramures des bois proches, Marguerite sentait battre plus fort son cœur, et le désir la prenait de revenir parmi les siens. Alors, subrepticement, sans déranger le moindre grain de sable du fond du lac, elle ouvrait l’une des fenêtres du palais de cristal et s’accoudait sur son chambranle. Elle soupirait silencieusement, écoutait, à en perdre raison, les bruits des halliers et des sentes, le passage furtif d’un renard en maraude, le grognement sourd du sanglier fouissant, le halètement de la harde qui paissait dans les clairières et qui, sans nul doute, formait des panaches de vapeur dans la froidure de la fin d’octobre. Le mois tirait à sa fin, et novembre à venir était en gésine de linceuls blancs sur l’herbe du matin.
Un tel soir, elle sentit sur son épaule, léger comme un rêve de papillon qui se poserait, la paume de sa maîtresse :
- Te voilà bien songeuse, Marguerite. Quel est ce secret qui barre ton front d’une ride, qui éteint les étincelles dans tes yeux ?
- C’est que je me languis, Viviane ma maîtresse. Les arbres de Brocéliande me manquent, comme le bruit de mes pas dans les feuilles mortes, et l’odeur de l’hiver qui peu à peu empreint le monde de la terre, quand ici est le monde des eaux.
- Tu es fille des forêts, et tu as choisi de demeurer avec moi, m’en faisant la promesse ; souhaites-tu que je te délie de ce serment ?
- Je n’ose vous le demander, Viviane ma maîtresse. Mon cœur se consume de ne pouvoir à nouveau battre sous la cime des hêtres et des chênes.
- Alors va, Marguerite, je te délie, pour une nuit, de ton engagement. Cette nuit est tienne. Mais cependant, je te mets en garde…
- Oui, Viviane ma maîtresse ?
- Hors de ce palais, la vie n’est pas seulement chemins de chevreuils et blaireaux, car depuis que tu me suivis ici, les hommes se sont arrogés le droit de faire la forêt à leur image, une image de force, de violence et de mort. Prends garde à ne pas croiser leur chemin, Marguerite.
- J’en aurai grand soin, Viviane ma maîtresse. »
Etendant ses bras couverts d’une mante en tissu léger, Marguerite prit son envol du fond du lac, gagnant la surface à grands coups d’aile tranquilles. Entre les nénuphars, sa tête émergea, et l’eau lissait ses cheveux blancs et faisait un masque luisant à sa douce figure. De la manière d’un serpent, sinueuse et vive, elle gagna le rivage et sortit de l’onde, sous la pleine lune d’octobre.
Suivante de la fée Viviane, elle connaissait le secret des images. Sur le lac, son reflet explosa sans un bruit en une myriade d’étincelles fulgurantes. Quand repassa sous l’astre nocturne le vol de la chouette, buvait, le cou tendu, éclairée par l’argent de la lune, une blanche biche.
Marguerite releva la tête, huma l’air de ses naseaux veloutés, ses oreilles frétillèrent. D’un bond gracieux, légère comme une touffe de plumes emportée par le vent, elle s’élança en direction des arbres proches.
La harde paissait dans la clairière. Elle passa la nuit avec ceux qui étaient ses semblables à présent. Puis, au petit matin, comme la brume se levait sur le lac, elle regagna l’onde et redevint la suivante de la fée Viviane, jusqu’à l’année suivante.
Il en fut ainsi, au fil des temps ; chaque dernière nuit d’octobre, elle quittait le palais de cristal et renouait avec les liens de la forêt. A chaque fois, le paysage, pourtant toujours le même, différait. Un pont fut construit, un château de pierre érigé, des hommes y vécurent, se succédant génération après génération. Il y eut des flammes, certaines années, qui couronnèrent l’édifice, et ces années-là Marguerite ne quittait pas le palais de cristal. Il y eut des fracas terrifiants, acier contre acier, des râles, des cris et des pleurs, et ces années-là non plus elle ne s’éloignait du palais que la magie de sa maîtresse, instruite par le grand Merlin, cachait aux yeux de tous, de plus en plus profondément, de plus en plus loin.
Le monde des hommes se transformait, des machines bruyantes rayaient l’azur du ciel, des détritus étranges se posaient sur le fond du lac, désormais de vase, et y demeuraient pour une éternité, refusant de retourner à la terre comme le font les seules choses qui comptent.
Mais un jour, sur les berges du lac, refleurirent les robes et les broderies de temps révolus, et, suivis d’une troupe assez grossière d’humains du vingtième siècle, des figurants encostumés faisaient revivre la splendeur des âges d’autrefois, quand les frontières entre les mondes étaient plus ténues. Cette année-là, alors que, à proximité du lac, le chêne fêtait ses quatre cents ans, Marguerite osa à nouveau quitter le palais. Mais elle ne se transforma point en blanche biche, choisissant de côtoyer, l’espace d’une nuit, ces humains de théâtre. Au fil des ans, elle apprit à les connaître, et dorénavant, son cœur battait plus fort et rougissait ses joues quand surgissait Renaud, la taille souple, les épaules larges, le cheveu noir et les yeux bleus.
Il faisait partie de la troupe du Cercle de l’Imaginaire Arthurien qui, tous les ans, pour le bonheur des touristes, tentait de faire revivre les légendes de Brocéliande. Il sympathisa avec Marguerite, et s’étonnait de ne la voir qu’une seule nuit l’an ; mais jamais la suivante de Viviane ne lui révéla son secret. Il lui fit maintes promesses, lui tint maints langages roucoulés d’amoureux, la prit souvent par la taille, inventait pour eux deux des jeux adultes, mais jamais ne sut voir la blanche biche sous la peau de la femme ; quant à la suivante de Viviane…
Renaud rêvait les temps imaginés de la légende, les recréait sans se soucier de leur vérité ou de leur cohérence, jouait être un seigneur de jadis, vivait en somme plus sous son costume médiéval que dans son triste habit gris d’humain banal. Mais toujours, il ne voyait Marguerite qu’une seule nuit l’an.

lundi 21 juillet 2008

Issu de la glaise, tu retourneras à la glaise

Cette nouvelle est parue dans l'anthologie "Jeunesse Eternelle" parue aux éditions Lokomodo

Quelques larmes, de l'eau au coeur de l'été

J'ai été absent longtemps, Luminalba. Mais je ne suis jamais bien loin, tu sais ?
Voici quelques larmes, de l'eau salée comme la mer. Je ne suis pas souvent quelqu'un de très gai, et pour me faire pardonner mes cris, pour donner à ceux qui nous lisent les clés pourcomprendre comment laisser l'eau couler sans y brûler l'âme ou le coeur, je vais ajouter une deuxème histoire, plus initiatique, plus chamanique.
A bientôt, le monde, à bientôt, les gens.


Capt'ain Bill
Papa met de l'huile, mais dit jamais rien, vu son caractère, comme dit maman. Maman, elle, elle met du harissa. Tu comprends, qu'elle me dit, c'est pour que l'os ait du goût. Moi, je m'en tape, du goût de l'os, tout ce que je sais, c'est que harissa, ça brûle grave et que j'aime pas ça.Pendant qu'ils font leurs trucs, moi, je ferme maximum les yeux et je pense au cap'tain Bill et comment je vais le torturer la prochaine fois que je vais le voir.
Le cap'tain Bill n'existe pas pour de vrai, faut pas non plus me prendre pour un naze légume, je sais bien que c'est une invention, mais moi, je trouve que c'est une invention maximum pratique et puis que c'est une invention que j'aime bien.
Avant, y'avait que papa, maman, elle faisait rien. Mais depuis qu'il y a eu ce soir, avec les milices et tout le reste, quand elle est rentrée maximum tard avec sa robe toute déchirée et que papa a rien dit du tout malgré que son shoot était trop vieux et qu'il a tout vu, alors ça l'a pris aussi, maman, je veux dire, mais pas comme papa, bien sûr, ce ne serait pas possible, je le sais, faut pas me prendre pour un naze légume. Maintenant, papa le fait plus souvent, et c'est devenu tous les soirs avant le câlin du dodo, papa ou maman, ça dépend des fois, mais jamais les deux.
Hier, j'ai pris le cap'tain Bill par les cheveux, les petits, tout derrière la nuque, puis j'ai tiré giga fort et il a crié, ça lui faisait mal, mais moi, ça me faisait plutôt du bien. Des fois, je le mords aussi, ou je lui arrache les bras. Il crie vraiment puissant fort, et moi ça me fait des choses. Mais je ne lui crève jamais les yeux, parce que ce serait très méchant et des fois il pourrait ne plus revenir même que ça me fait un peu peur ce qu'ils ont dit quand ils l'ont réparé pour la dernière fois.
Ça brûle, le harissa. Mais maman dit qu'elle est obligée d'en mettre, sans ça, elle dit qu'elle ne sent rien à cause des milices et tout ça et la robe déchirée que même papa a rien dit vu que c'est son caractère et comme tout fout le camp.
Quand j'ai essayé le harissa avec cap'tain Bill, c'était pas possible, parce que le cap'tain Bill, il est pas tout à fait vrai partout. Alors j'ai été faire un tour chez les poupées de papa. Elles, le harissa, elle connaissaient pas, le truc à papa, c'est plutôt l'huile et c'est normal, lui non plus, il n'aimerait pas le harissa, j'en suis sûr et certain même s'il n'en a jamais parlé, vu que de toutes façons il ne parle presque jamais et tout ça.
Le truc, pour arriver jusqu'aux poupées, c'est de choisir le bon passe, faut pas que je prenne le mien, sinon je me fais jeter, mais avec celui de papa, pas de problèmes, faut juste pas qu'on remarque que je l'ai piqué, alors j'ai surfé quand il était pas là. Les poupées, le harissa, ça les a brûlées aussi, mais les poupées de papa sont vraiment giga nazes connes comme pas deux, on dirait des poupées pour nazes légumes profonds et en plus, elles sont même pas belles à cause de leurs trucs noirs et rouges et de leurs bottes pointues de partout. En plus les poupées de papa sont même pas intelligentes, parce que malgré que ça les brûlait puissant fort le harissa, on dirait même plus que moi, elles en voulaient encore et me faisaient des gestes pour réclamer à cause qu'elles pouvaient pas parler à cause des baillons et des masques. Je n'aime pas les poupées de papa, je crois que je préfère le cap'tain Bill, il est moins con, lui au moins, c'est pas comme les poupées nazes connes à papa qui font rien que de se secouer quand on les touche, et quand on lui fait mal, au cap'tain Bill, je veux dire, et qu'il crie, au moins, c'est pour de vrai et pas dans le casque.
Hier, il y a une assistante qui est passée, la vieille, celle qui a des poils dans le nez et des grosses lunettes qu'on dirait des projecteurs et qui pue vraiment, et elle m'a demandé si tout allait bien, si ça allait les leçons sur la télécole, si j'étais content du cap'tain Bill, le genre de conneries habituelles qu'elle pose toujours, quoi. Moi, j'ai répondu tout va bien, rien de neuf docteur, alors elle a rigolé et s'est branchée avec ses trodes persos sur la borne du net pour interroger cap'tain Bill. Il ne lui dira jamais rien, cap'tain Bill, pour le harissa et l'huile. J'ai mis un verrou sur ses datas. Mais bon, la vieille, elle s'est rendu compte de quasirien, alors elle a vidé cap'tain Bill de ses datas pirates, ensuite elle s'est tirée sans attendre papa et maman et j'ai de nouveau été seul. Alors je suis parti surfer et torturer mon cap'tain Bill.
L'huile, le harissa, je ne sais pas si c'est bien ou si c'est mal. Papa veut pas que j'en parle, et maman non plus. Le harissa, ça brûle, et puis l'huile, j'aime pas, après, je suis puissant sale dedans et dehors et même des fois quand il n'y en a pas assez ça fait mal aussi. Mais je ne dis rien, ils sont tous les deux si gentils après, on dirait même pas un papa et une maman de la réalité, on dirait un papa et une maman de la publicité. C'est pour ça que je ne dis rien, parce que alors je les aime tellement très fort, mon papa et ma maman.