jeudi 16 décembre 2010

Bolltroal

Qui n'a jamais entendu Bolltroal tousser, au beau milieu de la nuit, dans un récepteur télé débranché, ne sait pas ce que c'est que l'angoisse.

C'est une toux grasseillante, comme des cailloux qui rouleraient dans une bétonnière emplie d'huile, roulant les uns sur les autres dans un fracas métallique et mouillé.

Et sa voix, sa voix... grêle, haut perchée, ridicule ; même si personne jamais ne le vit, ceux qui eurent un jour le déplaisir de l'entendre ne peuvent désormais imaginer Bolltroal autrement que sous la forme d'un gnome obèse, au visage pourtant terriblement famélique, un visage où la peau serait tendue à se craquer sur des pommettes osseuses, et au beau milieu de celui-ci, embroché comme un rameau de saule tortueux, un nez long et grêle, surplombé de deux petits yeux malveillants aux reflets jaunes ; quant sa bouche, croissant de lune grignoté par des minuscules dents pointues, ouverte sur un rire moqueur et terrifiant, comment l'oublier ?

Voyez mes cheveux, qui en l'espace d'une nuit sont devenus blancs, voyez mes mains qui tremblent, mon regard affolé sans cesse qui court d'un coin sombre à un autre, observez comme le moindre bruit me fait sursauter. J'ai connu ce démon, dans une autre vie, dans un passé qui n'est pas si loin. Mais j'en suis revenu. Alors, excusez mes gloussements hystériques, excusez mes sautes d'humeur. Car, moi, j'en suis revenu, même si ayant laissé dans cette rencontre une part de moi-même, peut-être la plus importante ; mon âme, diraient certains.

Cela a commencé un soir alors que j'étais couché et errai entre sommeil et conscience, entre rêves et réalité.

Un toux, grasse et malsonnante, m'avait réveillé. Celle de Bolltroal, même si je ne connaissais pas son nom, à l'époque. Autour de moi, la maisonnée dormait, silencieuse. La gouvernante, dans sa chambre, ronflait. Le cuistot, à l'étage, remuait dans son seommeil, faisant grincer les ressorts de so sommier. C'était l'hiver, un hiver gris et triste au manoir, avec le chant des râles d'eau et des effraies pour vous tenir compagnie dès 17 heures, quand le soleil se couche..

Je ne vis plus au manoir. Nul n'y dort plus que, le temps d'une nuit, des hôtes de passage, de ces personnes qui souhaitent connaître le grand frisson et se moquer au petit matin de leurs terreurs nocturnes. A leur grand dam, Bolltroal ne se montre plus, pas plus que son grand chien jaune qui arpentait les couloirs et les escaliers, quand tout était calme et endormi, ses griffes cliquetant sur le bois du parquet et éveillant des échos étranges et secs dans les chambres inoccupées.

Un manoir, pour l'entretenir, on en fait en général un hôtel plein de cachet. En matière de cachets, le mien regorgeait de ceux prescris par les différents médecins et psychiatres qui se succédèrent un jour ou un autre à mon chevet, car sinon... En soi, la bâtisse du 19ème siècle avait ce caractère ostentatoire et industriel très m'as-tu-vu qui avait cours dans la petite noblesse bretonne d'alors. Façade tout en angles, une petite terrasse, des fenêtres rectangulaires, et hormis la vue magnifique sur la forêt, rien d'exceptionnel, somme toutes. Sinon qu'on l'a disait hantée.

Et que l'on avait raison, même si les fantômes qui la hantent sont faits de souvenirs douloureux et culpabilisants. La seule force de Bolltroal est là, mais il me fallut plus d'une nuit pour le découvrir.

Car c'est de la sorte que ce démon se manifeste, par les souvenirs. Ça, et sa toux, dans les récepteurs télés éteints, et quand tout le monde dort profondément, bien sûr.

De tous ceux qui y louèrent une chambre, je ne sus que rarement comment ils avaient eu vent de la hantise du manoir. Le web, peut-être, ou alors un entrefilet dans un journal quelconque en mal d'article sensationnel. Mais cela n'a gère d'importance.